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Cédric AubertCédric Aubert, Le mardi 20 mai 2014
Grand angle

A cheval en Terre Patagonne

A plus de 2 000 km au sud de Santiago du Chili, et au-delà du 45e parallèle, existe une terre de chaos extrême, où la nature démesurée se donne en spectacle. Des steppes immensément vides, des sommets acérés comme les griffes du condor, des fjords et des glaciers, battus par les vents, vous êtes en Patagonie.
  • L’entrée de l’Estancia El Cóndor. Plus de 40.000 hectares de terres, de montagnes, de lacs, où pâturent chevaux, guanacos, vaches…  Au loin, les sommets enneigés de la Cordillère des Andes et la frontière chilienne. | © Cédric Aubert
    L’entrée de l’Estancia El Cóndor. Plus de 40.000 hectares de terres, de montagnes, de lacs, où pâturent chevaux, guanacos, vaches… Au loin, les sommets enneigés de la Cordillère des Andes et la frontière chilienne. | © Cédric Aubert
  • Depuis la localité de « Tres Lagos » une piste de terre et de gravier quitte la route 40. Près de 250 km et plus de 3 heures seront nécessaire pour rejoindre l’Estancia. Sur le chemin, un cabanon et un arbre « drapeau »  déformé par la violence des vents, trônent au milieu de la steppe infinie. | © Cédric Aubert
    Depuis la localité de « Tres Lagos » une piste de terre et de gravier quitte la route 40. Près de 250 km et plus de 3 heures seront nécessaire pour rejoindre l’Estancia. Sur le chemin, un cabanon et un arbre « drapeau » déformé par la violence des vents, trônent au milieu de la steppe infinie. | © Cédric Aubert
  •  Nouveau stop sur la piste menant à l’Estancia. Le paysage à couper le souffle, mérite que  s’y attarde. Tel un gamin, je cours vers ce lac crème de turquoise. | © Cédric Aubert
    Nouveau stop sur la piste menant à l’Estancia. Le paysage à couper le souffle, mérite que s’y attarde. Tel un gamin, je cours vers ce lac crème de turquoise. | © Cédric Aubert
  • Bienvenue. | © Cédric Aubert
    Bienvenue. | © Cédric Aubert
  • Dans l’Estancia, une belle salle à manger et un salon avec cheminée, de grands canapés bien confortables. Le bout du monde à des allures de petit nid douillet. | © Cédric Aubert
    Dans l’Estancia, une belle salle à manger et un salon avec cheminée, de grands canapés bien confortables. Le bout du monde à des allures de petit nid douillet. | © Cédric Aubert
La steppe à l’infini, de petits arbres « drapeaux » déformés par la violence des vents, un renard, des guanacos, des chevaux sauvages, dans le ciel, des condors…

Bienvenue en Patagonie

En « ville » comme à la campagne, chaque foyer possède sa voiture … et son cheval. Emblème de la Patagonie, le cheval et son cavalier solitaire, le gaucho, attisent les rêves du voyageur : parcourant la steppe patagonne, un poncho de laine drue sur les épaules, chapeau vissé sur son visage fermé et buriné par les éléments, il conduit sous la pluie battante son troupeau de milliers de têtes de bétail. Partons à la rencontre de cette légende patagonne : direction l’Estancia El Cóndor pour trois jours de randonnée à cheval.

L'Estancia El Cóndor fait partie de ces endroits magiques, auxquels on s´attache et ou l´on veut retourner, séduit par la nature et l´isolement de ces terres qui paraissent inaccessibles. 
Depuis la localité de Tres Lagos une piste de terre et de gravier quitte la route 40 pour offrir un spectacle à couper le souffle : la steppe à l’infini, de petits arbres « drapeau »  déformés par la violence des vents,  un renard, des guanacos, des chevaux sauvages, dans le ciel, des condors,… plus de trois cent kilomètres de bosses et d’émerveillement. Ici, les distances ne doivent pas être perçues par leur durée mais par ce qu´elles représentent : une idée de ce que signifiait être pionnier, seul, face à la nature et l’inconnu. 

Estancia est située au bord du Lago San Martín. C´est Perito Moreno, lui-même qui a nommé le lac d’après le General San Martín, l’uns des héros des indépendances Sud-Américaines. 
Protégée du vent par d’immenses peupliers, trône l’Estancia datant de 1912, une charmante bâtisse de bois et d’étain. Dans la maison, seulement six chambres, une cuisine, une belle salle à manger et un salon avec cheminée en pierre. Pas de réseau, donc pas de téléphone et pas d’internet. Le courant est coupé tous les jours à 22h00. Passé cet horaire, plus de lumière ni de chauffage. Tout autour, des enclos, le potager et bien-sur, l’Asado pour les grillades.

L’accueil est chaleureux. La soirée, paisible et agréable, autour de la cheminée, à discuter d’aventures avec un couple de voyageurs argentins, à déguster les plats typiques préparés avec soin par notre hôte. Le bout du monde a des allures de petit nid douillet. 
Il est l’heure de se coucher. Demain, lever 4h45 pour trois journées de randonnée à cheval vers La Nana, ce petit refuge à l’autre bout du lac, là où vivait Jimmy Radboone, le premier colon de ces terres.

Au petit matin, notre guide Sergio, nous rejoint. Sergio est un jeune gaucho d’à peine vingt ans. Il en laisse paraître trente. Sa démarche assurée, la justesse de ses gestes, l’assurance de ses mots, tout inspire en lui une grande maturité et une large expérience. Sergio est le fils cadet d’une famille d’éleveurs, vivant plus au Nord dans la province de Mendoza. Désireux de voir du pays, il a fait ses valises il y a un an pour la Patagonie, il est aujourd’hui en charge de la santé et de la bonne forme des chevaux de l’Estancia, soit plus d’une quarantaine de têtes.

  • Depuis l’Estancia El Cóndor, le chemin de randonnée commence par longer une lagune aux eaux turquoises puis se transforme en cordillère après la Península Maípu. | © Cédric Aubert
  • Sergio, notre guide ouvre la voie en direction du refuge de la Nana. | © Cédric Aubert
  • Après plusieurs heures d’ascension à travers la forêt, le paysage se découvre à nouveau. Le vent balaie les eaux turquoises du lac San Martin. La géographie dans cette région est chaotique de longs îlots émergent ci et là annonçant au loin les cordillères enneigés des Andes. | © Cédric Aubert
  • Pause déjeuner. Dans le ciel, deux puis quatre condors nous offrent un spectacle hors du commun en tournoyant à quelques mètres de nos têtes. | © Cédric Aubert
Chaque pas à cheval est une nouvelle découverte, un nouvel émerveillement ; la nature est, ici, d’une richesse infinie.

En selle

Nos chevaux sont sellés, nous avons des provisions pour trois jours, du pain frais, de bonnes bouteilles de vins, des patates, pour la viande, « on s’arrangera sur place » me lance Sergio.

Le chemin s’étend d’abord sur quelques kilomètres longeant une lagune aux eaux turquoises puis se transforme en cordillère après la Península Maípu. Extrêmement sauvage, le chemin monte et rejoint ensuite une forêt dense de hêtres et de cyprès et de calafates. La fin de l’ascension, plus de quatre heures après notre départ, découvre une colline vierge rocailleuse dominant les alentours. Nous déjeunons ici, en contre bas d’une falaise. Quatre condors passent et repassent juste au dessus de nos têtes, chevauchant l’air et s’élevant haut dans le ciel d’un simple battement d’ailes. Un pur moment de grâce et d’adresse.

Ruisseaux, plages, forêts, rochers, cimes, îlots… Chaque pas à cheval est une nouvelle découverte, un nouvel émerveillement ; la nature est, ici, d’une richesse infinie. La lumière de l’après midi commence à colorer les roches de différentes couleurs, le bleu du lac azur et turquoise contraste avec les masses touffues et noires des arbustes aux abords. Nous cheminons tranquillement vers une plage de sable du lac. Au loin, on entrevoit les allées de peupliers qui protègent le ranch de Jimmy Radboone. Le drapeau de l'Argentine flotte, en lambeaux, et nous accueille. 
Rapidement, on allume le poêle à bois et prépare des crêpes arrosées de confiture de calafate et de dulce de leite. Les odeurs de cheval, de cuir, de cheminée et de cuisine se mélangent pour donner ce grisant parfum des refuges en hiver. Il fait chaud. Dehors, il pleut.

Tout à coup, deux jeunes rentrent dans le refuge : Luis et Tobias, ils sont frères, seize et dix-huit ans respectivement, et sont deux gauchos de l’Estancia. Ils ramènent la viande ! Ils rentrent en fait de la chasse, la chasse à la vache sauvage. Voyant nos têtes déconfites devant cette information, ils nous expliquent que des troupeaux entiers vivent à l’état sauvage dans le domaine, qui compte plus de 40.000 hectares. 
Le menu de ce soir ne laisse aucun doute : Asado, grillade d’énormes côtes de bœuf accompagnée de patates. Un festin.

  • Après le déjeuner, Sergio et sa monture, « Tractor ».  | © Cédric Aubert
  • Début de la descente en direction du refuge de la Nana. | © Cédric Aubert
  • Cheval sauvage. Selon Sergio, il s’agit d’un cheval s’étant échappé il y a près d’un an, retourné à l’état sauvage. Curieux, il nous suivra pendant plusieurs kilomètres avant de prendre la fuite au grand galop. | © Cédric Aubert
  • Le drapeau de l'Argentine flotte, en lambeaux : nous sommes arrivés à La Nana.  | © Cédric Aubert
Je ne ressens ni la pluie, ni le vent, ni le froid, je fais corps avec ma monture.

Jimmy Radboone, le pionnier

On profite de la soirée pour interroger Sergio sur ce fameux Jimmy Radboone.

Jimmy Radboone fut le premier habitant de la région. Son histoire ressemble à celle d´un film et ce film commence en 1892, quant à l’âge de dix-neuf ans, Jimmy quitte l´Angleterre pour l’Argentine. Il se mit alors à travailler dans des élevages de moutons puis s’occupe de débourrer des chevaux à Staten Island, à l´Est de la Terre de Feu.
Joueur passionné, Jimmy gagna un jour un pari contre son meilleur ami. Pour tout paiement, son ami lui remit un chèque qui devait être encaissé à Punta Arenas, au Chili. Le chèque était faux et Jimmy fût, à tort, emprisonné. Mais Jimmy n’avait pas l’intention de rester au fond de son trou éternellement, victime du mensonge, et de l’incompétence des autorités chiliennes. Peu de temps après son incarcération, il s’évada et s’enfuit vers les terres isolées de l’actuel refuge de la Nana. Il se rapprocha alors des indiens Tehuelche et tomba amoureux de Juana, la fille du Chef Mulato.

Ils se marièrent et s´installèrent au bord du lac San Martín, sur la péninsule Mackenna, où se trouve actuellement le refuge « la Nana », du surnom de son épouse. Il devint un éleveur de moutons, eut 9 enfants. L´élevage atteint 6 500 moutons produisant 13 000kg de laine, faisant de Jimmy un homme prospère. En 1903, le Comité International des frontières explora ce territoire, marquant les limites de la propriété de Jimmy. Il obtint ainsi ses titres de propriétés.

En 1952, alors âgé de 60 ans, il raconta son histoire à un journaliste, l’histoire devint un livre « Jimmy, l´hors la loi de Patagonie ».

Aujourd´hui, la demeure de Jimmy est en ruine. Quelques mètres plus loin se trouve le refuge « La Nana », dans lequel nous dormons ce soir, envoutés par les effluves de fumée de bois et bercés par les histoires des pionniers de Patagonie. 

  • Après une bonne journée de randonnée, les chevaux ont bien mérité un peu de repos.
  • Le refuge de la Nana à la tombée de la nuit. | © Cédric Aubert
  • Portrait de Sergio, notre guide, dans le refuge. | © Cédric Aubert
  • Luis, l’un des gauchos-chasseurs-de-vaches-sauvages, et son cheval. | © Cédric Aubert

La pluie, encore la pluie

Lever aux aurores, nous sommes réveillés par les arômes de pain grillé et de lait chaud. Luis et Tobias sont aux fourneaux. Sergio fait l’inspection des chevaux. 
Aujourd’hui nous partons explorer la région, plus loin, jusqu’à la frontière chilienne. Plus loin, c’est plus de solitude, et toujours plus de grandeur. En début d’après midi, le ciel se fait plus menaçant, le vent s’est levé, de gros orages se préparent, Sergio recommande de regagner le refuge de la Nana, nous le suivons sans broncher. Nouvelle nuit au refuge, nouvelles histoires autour du maté, le thé des gauchos. Véritable institution en Patagonie, comme dans le reste de l’Argentine, le maté est une herbe au goût fort et fumé, un puissant psychotrope anti-sommeil. Sa dégustation entre amis, est un véritable moment de partage et d’échange, avec ses codes et ses traditions.

Il pleut. Toute la nuit. La pluie tombe en trombe sur le toit en tôle du refuge accompagnée des sifflements aigus du vent, entrecoupés de coups de tonnerre, proches et sourds. C’est en pleine nuit et dans le noir complet, que, finalement, la nature patagonne nous donnera la véritable mesure de sa grandeur.

La journée s’annonce pluvieuse aujourd’hui encore : la pluie n’a pas cessé. C’est donc sous la pluie que nous montons en selle et parcourons les premiers kilomètres nous ramenant à l’Estancia. Nous profitons de quelques heures de répit pour déjeuner. Puis, l’orage reprend, ne nous quittant plus jusqu’à la maison principale. Passées les grosses difficultés et l’ascension du col, nous décidons de continuer en alternant trot et galop jusqu’à El Cóndor. Je ne ressens ni la pluie, ni le vent, ni le froid, je fais corps avec ma monture, je ressens les battements de son cœur, j’anticipe ses changements de direction, mon esprit s’évade, je suis Danse Avec Les Loups s’élançant dans les immenses plaines du Wyoming, Sergio, Luis, Tobias, et ma femme Julie, le reste de ma tribu Sioux. 
Vers 16h, nous atteignons l’Estancia, trempés et éreintés mais heureux.

Il est de ces endroits où il fait bon vivre, auxquels on s’attache et où l´on veut retourner. Des endroits magiques où la nature et l’homme vous subjuguent. Cette région fait définitivement parti de ces lieux. En début de voyage en Patagonie, bien qu’émerveillé par la beauté de cette région, je me suis souvent questionné « Comment, ces hommes vivent-ils ici ? Pourquoi endurer un tel inconfort, une telle solitude ? ». J’ai à présent une réponse je crois que par sa dureté et son inhospitalité, la Patagonie vous marque au fer, vous possède. Au moment de partir, je suis triste et nostalgique de ces moments d’inconfort, de ces soirées à trépigner de froid, de ces journées de pluie ininterrompue. 

Mais, je le sais, je reviendrai. 

Y aller

L'aéroport le plus proche est celui d’El Calafate (FTE). Dans cette ville, il est possible de louer une voiture ou de recourir à un transfert privé.

 L´Estancia propose ainsi un service de transfert deux fois par semaine les vendredi et lundi.

Y aller

Depuis El Calafate : emprunter l'autoroute provincial 11 (direction Río Gallegos). Au Kilomètre 32, prendre la route nationale 40 vers le nord, direction la ville Tres Lagos. Avant d´entrer dans la ville, vous verrez sur la gauche une station-service dans laquelle nous vous conseillons de faire le plein avant de continuer le long de la route (route provinciale 31). Après avoir quitté Tar Lake, vous rencontrerez une bifurcation. Prenez alors la route de gauche (route provinciale 33). La route est étroite. 

Y aller

Plusieurs barrières peuvent être ouvertes/fermés à l'approche des Estancias La TerceraEl Castillo et La Maipú avant d´arriver à l´Estancia El Cóndor.

Depuis la ville d´El Chálten : prendre la route provinciale 23 vers l´autoroute nationale 40 jusqu´à arriver au carrefour qui propose la direction « Tres Lagos ». Après cela, suivez les instructions du paragraphe ci-avant.