Mathieu BelayMathieu Belay, Le mercredi 29 mars 2017
Chefs

Les 50 chefs qui font Paris #24 : rencontre avec Tomy Gousset (TOMY&co)

Plébiscité depuis son passage remarqué chez Pirouette, Tomy Gousset s’affirme comme un restaurateur de talent depuis l'ouverture de son premier restaurant du 7ème arrondissement, TOMY&co. Rencontre avec un jeune chef déterminé.
  • Tomy Gousset, un jeune chef qui incarne la nouvelle garde de la gastronomie parisienne © Guillaume Lechat
    Tomy Gousset, un jeune chef qui incarne la nouvelle garde de la gastronomie parisienne © Guillaume Lechat
« L’un de mes plus beaux souvenirs de cuisine est un simple pavé de saumon [...] C’était la première fois que je mangeais un poisson sans arêtes. J’avais 22 ou 23 ans ! »

« Quand je suis arrivé à New York, avec ma tête de Cambodgien et mes bras tatoués, je ne correspondais pas vraiment au cliché du chef français, sorti des grands restaurants parisiens » rigole Tomy Gousset, évoquant son arrivée au restaurant étoilé Daniel – du chef Daniel Boulud – après avoir fait ses classes au Taillevent puis au Meurice auprès de Yannick Alléno. Pourtant, rien ne prédestinait le jeune chef, aujourd’hui à la tête de l’un des restaurants les plus courus de la capitale (TOMY&co, ouvert en septembre 2016, dont le succès ne se dément pas) et qui a été sélectionné aux côtés de Guy Savoy, Frédéric Anton, Thierry Marx ou Pierre Sang pour représenter la gastronomie parisienne d’aujourd’hui au festival Taste of Paris (du 18 au 21 mai prochain au Grand Palais) à devenir un cuisinier de renom. Ni souvenirs d’odeurs de cuisine quand il était enfant, ni promenade précoce sur les marchés, comme se plaisent à le raconter tant de chefs. « L’un de mes plus beaux souvenirs de cuisine est un simple pavé de saumon, avec des épinards. C’était la première fois que je mangeais un poisson sans arêtes. J’avais 22 ou 23 ans ! » nous confie-t-il, comme s'il était toujours étonné de cette découverte tardive. Celle de la bonne cuisine. Celle du bonheur simple et évident que procure une belle assiette. Pour revenir sur ce parcours atypique, Tomy Gousset a pris le temps de répondre à nos questions. Un entretien sans faux-semblants ni namedropping, reflet exact de la sincérité et de la spontanéité de ce chef à qui tout sourit.

LES DÉBUTS DE TOMY GOUSSET

YONDER: Bonjour Tomy Gousset. Prenons quelques instants pour revenir sur vos débuts. Vous avez débuté une formation en école de commerce avant de vous réorienter à 22 ans vers la cuisine en débutant un cursus à l’École Ferrandi. Qu’est-ce qui vous a fait changer d’avis ?

TOMY GOUSSET : en effet, j’ai passé un an en école de commerce avant de m’apercevoir que ce n’était pas fait pour moi. Puis j’ai passé une année à la fac, à Assas. Je voulais devenir professeur ou maître d'école, la transmission était importante à mes yeux. Ce n’est qu’en regardant un reportage à la télé sur l’École Ferrandi que je décide de m’inscrire, à 22 ans. Je n’avais encore jamais fait de cuisine ! Ce reportage a constitué un déclic, j’ai compris quelle allait être ma voie.

Comme William Ledeuil, Bertrand Grébaut ou Adeline Grattard, Tomy Gousset a fait son apprentissage à la prestigieuse École Ferrandi dans le 6ème arrondissement de l’École Ferrandi
 

Est-ce qu’à l’époque vous aviez des héros de la gastronomie ?

Je suis originaire du Cambodge et je n’ai pas de culture culinaire familiale. En revanche, je savais qu’il fallait me confronter à de grands restaurants, deux ou trois étoiles, pour jauger mon niveau, et voir ce que je valais en cuisine.

« Bien que New York soit une ville cosmopolite, en étant cambodgien et tatoué, je ne correspondais pas au cliché du chef français [Rires.] »

 

LE PARCOURS : TAILLEVENT, LE MEURICE AVEC YANNICK ALLÉNO, NEW YORK AVEC DANIEL BOULUD…

Vous vous dirigez donc rapidement vers l’excellence dans l’optique de  « mesurer » votre niveau en cuisine ?

Tout à fait. J’ai débuté dans le restaurant étoilé de l’Hôtel Warwick sur les Champs-Élysées. Cela m’a permis d’apprendre les bases d’une cuisine gastronomique moderne. Puis je m’attaque à une institution : le Taillevent, un restaurant de cuisine classique de très haut niveau, qui avait à l’époque trois étoilés. Son chef, Alain Solivérès, est devenu l’un de mes pères spirituels et un ami. J’y suis resté deux ans. C’était très dur. Taillevent, c’était l’armée !

Vous enchaînez avec une autre grande maison, Le Meurice avec Yannick Alléno, juste avant qu’il ne décroche trois étoiles.

C’est l’époque où Yannick Alléno faisait énormément parler de lui. En rentrant dans cette brigade, j’étais simplement un numéro, perdu au milieu de dizaines de personnes qui avaient tous des cultures culinaires impressionnantes. Ils venaient de toute la France, de tous les terroirs. La notion de terroir m'était inconnue ! Mais je suis arrivé commis et j’ai finalement occupé tous les postes, jusqu’à celui chef de partie tournant, pendant ces quatre années passées au Meurice. J’aurais pu devenir sous-chef mais il aurait fallu m’engager pour deux années supplémentaires. J’ai préféré m’en aller.

  • Portrait du chef Alain Solivérès, le « père spirituel » de Tomy Gousset © DR
  • Portrait de Yannick Alléno © Geoffroy de Boismenu

 

Vous partez donc à New York, en quête de nouvelles aventures.

J’avais un ami qui y travaillait, ce qui m’a donné l’opportunité de rejoindre le restaurant de Daniel Boulud à New York qui avait alors deux étoiles et qui allait en gagner une troisième. Mais bien que New York soit une ville cosmopolite, en étant cambodgien et tatoué, je ne correspondais pas au cliché du chef français [Rires.] J’étais transparent au début. Il a fallu à nouveau faire mes preuves et bosser énormément pour montrer ce que je valais.

D’autant que le fonctionnement d’un restaurant gastronomique à New York est très différent de celui d’une grande table à Paris.

Absolument. On parle de services à trois cents couverts, qui s’étalent entre 17h30 et 21h30. J’arrivais du Meurice où l’on ne faisait que 45 couverts et où l’on cuisait tout à la minute. Techniquement, ce n’est pas ma meilleure expérience mais en termes d’organisation, c’était une excellente école. On travaillait davantage dans l’anticipation que ce dont on a l’habitude à Paris.
 

Portrait du grand chef français installé à New York, Daniel Boulud © DanielNYC.com

 

LE RETOUR À PARIS AVEC PIROUETTE

Vous revenez finalement à Paris où vous prenez les rênes d’un néo-bistrot près des Halles, Pirouette. Est-ce que vous avez hésité à retourner dans un restaurant étoilé à votre retour de New York ?

J’ai fait un essai chez Akrame mais j’ai eu alors un déclic. J’ai su que je voulais être mon propre chef, avoir la possibilité de m’exprimer, même si ce n’était pas sous la forme d’un « gastro ». On m’a trouvé pour Pirouette. J’ai donné la ligne directrice en termes de cuisine, de positionnement de prix - il fallait concilier qualité et prix abordables – et on s’est lancés comme ça : des choses simples, des bons produits. Ce n’était pas toujours très joli dans l’assiette mais au moins c’était bon [Rires].

Vous connaissez alors un succès rapide.

On a été rapidement complets, après un ou deux mois d’ouverture. La presse nous a suivis, ainsi que quelques confrères. Mais c’est seulement à partir de la troisième année que j’ai trouvé mon style. Il m’a fallu du temps pour poser les bases de ma cuisine.

Pirouette, où Tomy Gousset fut le chef de cuisine de 2012 à 2016 © Le Fooding
« Au-delà du « buzz » de l’ouverture, si je gagne de l’argent, tout le monde doit en profiter. »

 

L’OUVERTURE DE TOMY&CO EN SEPTEMBRE 2016

Puis vous décidez l’an dernier d’ouvrir votre propre restaurant, dans le 7ème arrondissement : TOMY&co.

Il y an et demi, je ne savais pas encore que j’allais ouvrir mon restaurant. Mais quand j’ai commencé à m’intéresser aux chiffres, quand j’ai compris à comprendre ce que les gens recherchaient, un style de cuisine associé à un prix attractif, je me suis dit qu’il était temps de me lancer. À 35 ans, c’était le bon âge pour ouvrir ma propre affaire. Je crois que c’est une bonne chose de ne pas le faire trop tôt. Beaucoup de jeunes ouvrent directement leur affaire après avoir été sous-chef d’un grand restaurant. Ils sont très courageux mais cela me paraît plus risqué.

Pourquoi ce nom, TOMY&co ?

Pour plein de raisons ! « co » comme Constance, ma femme, qui m’aide au quotidien. « co » comme collaborateurs, comme cohésion (d’équipe), comme communication… Sans mon équipe, je n’aurais jamais pu atteindre cette première étape.
 

Tomy Gousset devant son restaurant de la rue Surcouf, TOMY&co © Guillaume Lechat

 

Qu’est-ce qui explique, selon vous, le succès de TOMY&co, qui ne désemplit pas depuis son ouverture ?     

C’est un équilibre entre une cuisine qui est juste, ni trop classique, ni trop créative, et qui plaît , des tarifs intéressants, un quartier propice et évidemment l’engagement des équipes, en cuisine, comme en salle. C’est dur pour tout le monde, car il faut beaucoup travailler, mais toute l’équipe est intéressée financièrement au succès grâce à un système de primes. Au-delà du « buzz » de l’ouverture, si je gagne de l’argent, tout le monde doit en profiter. Mais il faut se rappeler que cela ne fait que six mois. Il faut faire attention et garder la tête sur les épaules.

C’est tout de même moins dur que chez Taillevent ?

[Rires] Ça n’a rien à voir ! Je pense être plutôt « à la cool » dans la manière de diriger mon équipe mais il faut malgré tout être carré et travailler beaucoup. Un chef de palace m’a suggéré de faire travailler l’équipe de cuisine sur des essais de nouvelles recettes. Je ne crois pas que cela soit adapté à mon restaurant. Il ne faut pas oublier que les salaires ne sont pas très élevés comparativement au temps de travail. On ne peut pas en demander toujours plus aux équipes.

Quelle est la clientèle de TOMY&co aujourd’hui ?

Elle est très large ! Aussi bien des chefs que des jeunes, des habitués, qui travaillent ou habitent dans le quartier, que des étrangers de passage à Paris. Certains de nos clients sont déjà venus plus de vingt fois depuis l’ouverture en septembre ! Bien que l’on propose un menu à 25€, on vend davantage notre menu à 45€. Les gens veulent découvrir la carte et les plats signatures, comme les gnocchis. Ils viennent pour goûter.

Comment définiriez-vous votre cuisine chez TOMY&co ?

Une cuisine qui, dans sa simplicité, doit être extrêmement bien réalisée. Il faut donner le maximum dans chaque assiette. Quand on fait des gnocchis à la truffe ou une assiette de légumes en entrée, c’est simple mais il y a un vrai travail pour que cela soit le meilleur possible, grâce à la qualité des produits et au travail de transformation. L’important est de ne jamais tromper le client, d’être toujours sincère.

Vous avez également choisi de travailler des produits plus inattendus.

On essaie en effet de proposer des choses intéressantes, gustativement et visuellement, autour de produits comme la langue de bœuf ou la tête de veau, qui ne sont plus vraiment à la mode. C'est une bonne occasion de valoriser le travail en cuisine.

  • Filet de Canard « apicius », endives en chutney/rôtie/trévise & lard de Toscane © YONDER.fr
  • Légumes d’hiver crus & cuits de mon potager de Courances, vinaigrette & gomasioc © YONDER.fr

 

« Mon vrai mentor reste Alain Solivérès. Au-delà du chef et de la technique, c’est l’homme qui m’intéresse. »

 

INSPIRATIONS & INFLUENCES

Quels rapports conservez-vous avec les chefs qui vous ont formés ?

Excellents ! Alain Solivérès passe régulièrement me voir, pour manger ou simplement prendre un café le matin avant le service. Quand il a goûté mon Ossau-Iraty, un hommage à l’un de ses plats chez Taillevent, il m’a dit « l'élève a dépassé le maître ». Je ne sais pas s’il le pense vraiment mais ça me touche beaucoup. C’est symbolique, ça montre sa fierté. Quand Yannick Alléno goûte l’un de mes plats et me dit qu’il va s’en inspirer pour un plat au Ledoyen, c’est aussi très flatteur !

Au-delà des chefs qui vont ont formé, avez-vous été inspiré par des grands cuisiniers ?

David Chang à New York. J’allais régulièrement dans ses restaurants, je trouvais très intéressante sa démarche de multiplier les projets : chercher à toujours être très bon, dans différents styles culinaires, différentes ambiances. Mais mon vrai mentor reste Alain Solivérès. Au-delà du chef et de la technique, c’est l’homme qui m’intéresse. Il est très humain et c’est le modèle de chef que j’ai envie d’être pour ceux qui me côtoient.

David Chang, le chef de Momofuku, est l’un de ceux qui a inspiré Tomy Gousset © Momofuku

 

Sans que cela soit forcément une source d’inspiration, y a t’il des repas au restaurant qui vous ont particulièrement marqué ou ému ?

Oui mais des repas simples, loin des tables étoilées ! La première fois que j’ai goûté un pavé de saumon, parfaitement cuit et sans arêtes, j'avais 22 ou 23 ans ! C’était une véritable découverte, tardive, autour d’un plat très simple mais tellement bon. Même chose lorsque j’ai goûté lors d'un week-end avec ma femme un tajine, dans un petit restaurant marocain de quartier. C’était délicieux. C’est ce genre de plats simples, de recettes populaires qui vont davantage me marquer que la cuisine gastronomique. Une certaine forme de complexité dans la simplicité.

Est-ce que vos origines cambodgiennes peuvent être une source d’inspiration dans l’assiette ?

Il y a des petits clins d’œil. Le litchi et le tapioca font par exemple partie de ma culture culinaire. Comme la coriandre que j’utilise beaucoup. Je ne me donne pas de limites mais je ne cherche pas à apporter une touche cambodgienne à tout prix. Je suis né en France, j’ai grandi en France, ma culture est avant tout française tout comme ma formation. Je ne cherche pas à faire une cuisine franco-asiatique ou fusion.

Quels sont les restaurants où vous n’êtes jamais allé mais que vous aimeriez tester ?

Eleven Madison Park, le restaurant de Daniel Humm à New York. Atera [le restaurant immersif doublement étoilé du chef Ronny Emborg, NDLR], toujours à New York. Benu [restaurant triplement étoilé du chef Corey Lee's, NDLR] à San Francisco en Californie. Et enfin le restaurant Amass à Copenhague.
 

AUJOURD’HUI ET DEMAIN

Quel bilan tirez-vous après ces six mois d’ouverture, qui elles-mêmes arrivent après quatre années passées chez Pirouette ?

Je rappelle toujours que je viens de loin. Ce n’est pas un discours pour la presse, c’est ma vérité. Cela me fait dire que rien n’est acquis.. Je suis un chef qui fait son boulot, qui propose de la bonne cuisine et qui veut fait faire grandir ses équipes. Ce n’est pas pour autant que j'ai réussi. Je serai confirmé quand mon restaurant sera inscrit dans le temps. Pour l’instant, je ne le suis pas.

Votre présence à Taste of Paris [du 18 au 21 mai 2017 au Grand Palais, NDLR] est aussi une manière de « confirmer » votre travail ?

Bien entendu, c’est une très belle opportunité de pouvoir cuisiner aux côtés de grands chefs étoilés mais aussi de cuisiniers de ma génération, comme Pierre Sang, Juan Arbelaez ou Grégory Marchand, qui sont déjà très médiatisés et ont confirmé leur succès à travers plusieurs affaires.

Avez-vous des projets pour les mois et années à venir ?

Ouvrir un second restaurant, qui n’aurait rien à voir avec ce que je fais ici chez TOMY&co. Un restaurant espagnol, italien, de cuisine asiatique, je ne sais pas… Ce que fait David Chang à New York avec ses restaurants Momofuku m’inspire beaucoup. Il a su casser les codes et faire de la bonne cuisine en toute simplicité dans différents registres.

Le mot de la fin ?

Le bon équilibre entre la gourmandise, la qualité de l’assiette, les bons produits, les tarifs, le service en salle... ça a l’air simple mais c’est ce qu’il y a de plus compliqué. Sinon tout le monde le ferait [Rires].

À lire également, notre récit de découverte de TOMY&co

 

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