Emmanuel LaveranEmmanuel Laveran, Le mercredi 06 juin 2018
Restaurants

L'Oustau de Baumanière : un mythe qui ne cesse de se réinventer

Le célèbre Relais & Châteaux provençal, qui a fêté ses 70 ans en 2015, connait une dynamique exceptionnelle sous l’impulsion du duo Jean André Charial - Glenn Viel. (Re)découverte de l'une des tables les plus mythiques de Provence.
  • Au coeur du domaine de Baumanière, l'Oustau, adresse gastronomique mythique © P. Schaff
    Au coeur du domaine de Baumanière, l'Oustau, adresse gastronomique mythique © P. Schaff

Depuis deux décennies, les médias faisaient passer l’Oustau de Baumanière pour une Belle Endormie. Refuge discret des people et de nombreux habitués, le luxueux hôtel semblait ronronner, à l’ombre des mûriers et des platanes centenaires, au pied de l’un des plus pittoresques villages de France, les Baux-de-Provence.

En 1990, l’Oustau avait perdu ses trois macarons. Michelin avait bien continué à afficher trois étoiles mais dans le Guide Vert... et pour le seul village des Baux ! Cruelle ironie du destin quand on se souvient que c’est Raymond Thuilier, le grand-père de l’actuel propriétaire, qui avait fait découvrir cet endroit perdu des Alpilles et en avait construit de ses mains la réputation. L’Oustau demeurait pourtant une très bonne table, bien que l’on en parle moins. Mais ça, c’était avant.

  • Dans les jardins de Baumanière © Emmanuel Laveran

L’auteur et l’artiste

C’était sans compter sur la détermination et l’intelligence de Jean-André Charial qui écrit l’histoire de l’Oustau depuis 50 ans. Bâtisseur dans l’âme, tour à tour chef de cuisine et entrepreneur, après avoir modernisé et agrandi l’hôtel, s’être lancé avec succès dans la production de vins, ouvert d’autres établissements à l’étranger et dans la région, à 70 ans passés, il voulut se recentrer sur l’essentiel. Baumanière et sa grande table gastronomique, l'Oustau.

C’est dans ce contexte que le chef Glenn Viel poses ses valises en Provence en 2015. Le jeune chef Breton a fait ses armes au Plaza Athénée, au Meurice et au Cheval Blanc (Courchevel) auprès de Yannick Alléno et a glané deux étoiles Michelin au Kilimandjaro, toujours à Courchevel, avec Nicolas Sale.

Dès le premier contact, on sent que le chef est un créatif bouillant. « Ici, c’est Disneyland » lance-t-il, provocateur, pour expliquer qu’il a quartier libre pour transformer les milliers de mètres carrés de friches de la propriété. Quand il arrive, il installe des ruches pour produire son miel, agrandit le potager (1,500 pieds d’asperges plantés l’an dernier, 200 pieds de tomates en plus alors que l'intégralité des petits pois et des courgettes servis au restaurant viennent du jardin du domaine), crée un verger (pruniers, abricotiers, cerisiers…) et travaille même à l’implantation d’une ferme pédagogique avec poules, pigeons, cochons… 

« On veut élever les bêtes que l’on travaille en cuisine ; on recevra des écoles tous les mois » pour transmettre aux enfants le « goût du bon ». Et puis il y a un rôle écologique, fruit d’une démarche engagée. Les animaux serviront à recycler les derniers déchets organiques, une belle manière de boucler la boucle.

  • Jean-André Charial et Glenn Viel © DR
 
Les idées fusent, les projets prennent vie, la créativité paraît sans limite. Glenn Viel est le Géo Trouvetou du domaine.

 

L’homme est un passeur de savoir et c’est d’abord pour ses équipes qu’il a voulu internaliser un maximum de tâches. « On a acheté un fumoir, on achète nos truites et on les transforme nous-mêmes ! On fait aussi sécher les tomates de notre jardin au soleil dans les séchoirs en bois qu’on a conçus. On fabrique notre beurre. On a un producteur de lait à 15km et on pétrit 6 ou 7 variétés de pains tous les jours. Je vais d’ailleurs planter un hectare de blé derrière le potager », avant de poursuivre, profond : « Ce que j’aime, c’est que les apprentis partent de chez nous avec de bonnes bases ». Les idées fusent, les projets prennent vie, la créativité paraît sans limite. Glenn Viel est le Géo Trouvetou du domaine.

Il va ouvrir l’atelier d’un artisan potier à demeure, qui a déjà fait évoluer la vaisselle du restaurant. « On a créé un huilier rêche et piquant pour l’huile d’olive aux tanins prononcés, un huilier rond et lisse pour l’huile d’olive douce ». Puis il parle enfin de la cuisine…puisque c’est ici l’essentiel.

Il a notamment mis au point un nouveau système d’assaisonnement par la concentration. « Voilà mes cailloux d’assaisonnement ». Marron, orange, légumes, crustacés, poissons, fruits, il y en a de toutes les couleurs et pour tous les goûts. Le chef dégaine sa râpe. « Goûtez ça, c’est céleri, champignons, langoustine »… Effectivement la poudre de légume remplace avantageusement une pincée de sel, celle de champignon exhale l’odeur d’un sous-bois, la langoustine éclate au palais comme un fumet pétillant. « On s’en sert pour assaisonner [...] je n’aime pas les fioritures, j’aimes les choses simples et précises ».
 

  • Glenn Viel râpe ses "cailloux d’assaisonnement" © Emmanuel Laveran

 

Et sans doute est-ce là le point commun avec Jean-André Charial, partisan d’une cuisine sincère, ouvert à l’inventivité. Il canalise le talent fou de son jeune chef, lui donnant le cadre dans lequel s’exprimer. « Monsieur Charial est né avec la maison, il faut respecter ça. [...] Il faut parfois mettre de l’eau dans son vin mais c’est normal, c’est mon patron et ça fonctionne bien entre nous » rappelant son admiration pour Jean-André Charial, un « grand monsieur ».

 

Les « tout petits pois » du jardin et l’ormeau

Jean-André Charial dira de son côté que Glenn lui « apporte de la jeunesse, de l’enthousiasme, une vision plus contemporaine de la cuisine » ajoutant « qu'il faut parfois le freiner un peu et le canaliser ». « C’est mon travail, je peux lui apporter l’expérience du lieu et du métier » précise t-il au sujet du fonctionnement du tandem.

Au bout d’un an, quand il a perçu « la qualité de l’homme », l'emblématique patron de Baumanière s'est alloué les services d'un attaché de presse « pour que l’on parle de Glenn, qu’on le mette en avant ». Même s’il a décidé qu’il ne quitterait plus sa cuisine, qu’il serait présent à chaque service, il précise sans hésiter : « Ce n’est pas moi qui fait la cuisine, c’est Glenn qui la fait maintenant ! Et il y a un côté très affectif. J’aime ce garçon, c’est un passionné ».
 

  • La salle à manger de l’Oustau © Emmanuel Laveran

 

Effectivement, Glenn Viel ne pense qu’à sa cuisine, du matin au soir et du soir au matin. « J’achète des produits fous, j’essaye toujours de trouver quelque chose de différent, tout en gardant une certaine tradition. On ne veut pas faire tout et n’importe quoi ici. Vous ne verrez pas d’azote, ça ne m’intéresse pas… ». On le ressent dans cette formidable entrée intitulée « Au bon vouloir de Dame Nature : Les tout petits pois, caviar Schrenki ». L’assiette est ultra épurée, 100% axée sur le produit.

Les petits pois cueillis du matin, crus, n’ont jamais connu un frigo. Ils sont associés à un caviar de Chine à la longueur en bouche inégalable. Le résultat est limpide.

« On travaille pour que les gens soient contents, pour faire plaisir ». Pari réussi avec le calamar servi comme une île flottante. Au premier coup d’œil, on dirait un œuf à la neige. En bouche, le plat est une diablerie de complexité. D’abord marqué par l’acidité du citron, le suave et les épices de la rouille, la douceur et le croquant jouent ensuite au ping-pong. Sous la belle salle voûtée, on se bronze les papilles.

  • Au bon vouloir de Dame Nature : Les tout petits pois, caviar Schrenki © Emmanuel Laveran
  • © Emmanuel Laveran

 

Glenn Viel travaille à l’extrême ses techniques de cuisson. La précision du rouget et du cochon de lait au maïs feront deux nouvelles caresses au palais. Ce perfectionniste a ainsi commandé pas moins de 250 kilos d’ormeaux pour faire des essais - pendant 6 mois - sans en servir un seul en salle ! Jean-André Charial s’interrogeait forcément sur la santé mentale de son chef mais l’ormeau, pour Glenn, c’est un « truc de gosse », la représentation du bonheur de l’enfance, la madeleine de Proust. Avec son père, en Bretagne, il en pêchait à chaque grande marée. Réussir la cuisson d’un ormeau en obtenant la consistance d’une Saint-Jacques, c’est le Graal… Il l’a trouvé la veille de notre dîner, comblé !

Et que dire des jus, des sauces et des saveurs associés à l’une des 60,000 bouteilles qui dorment en cave. Dîner à l'Oustau, c’est la grande vie de château. On dîne en première classe.

L’ultime défi est désormais la troisième étoile. « Il est l’avenir brillant d’un passé monumental » disait Michel Guérard de Jean-André Charial dans les années 1980. On pourrait dire la même chose de Glenn Viel qui conjugue l’excellence et l’incarne au présent, le présent d’une auberge unique, d’un Relais de campagne toujours aussi captivant.

Pratique

L’Oustau de Baumanière

Mas de Baumanière
Les Baux-de-Provence

Informations et réservations
Tel : + 33 490 54 33 07
Email : contact@baumaniere.fr
Site Web de l'Oustau de Baumanière

Horaires
Ouvert tous les jours au déjeuner et au dîner en saison.

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