Mathieu BelayMathieu Belay, Le vendredi 24 février 2017
Restaurants

Les 50 meilleurs restaurants de Paris #22: La Tour d’Argent (chef Philippe Labbé)

C’est l’histoire de l’un des restaurants les plus célèbres au monde. Sous la houlette de son propriétaire André Terrail et de son nouveau chef Philippe Labbé, la mythique Tour d’Argent retrouve le rang qui fut jadis le sien. (Re)découverte.
  • Restaurant avec vue : la salle de la Tour d'Argent a conservé son style classique et sa formidable vue sur la Seine et Notre-Dame © La Tour d'Argent
    Restaurant avec vue : la salle de la Tour d'Argent a conservé son style classique et sa formidable vue sur la Seine et Notre-Dame © La Tour d'Argent
C’est Claude Terrail qui mura, de ses propres mains, une partie de la cave du restaurant (500,000 bouteilles à l’époque) pour éviter que les nazis s’en empare.

Changement radical d’ambiance ! Après l’intimiste yam’Tcha d’Adeline Grattard, on traverse la Seine pour s’attabler dans l’un des plus célèbres restaurants de Paris, la mythique Tour d’Argent.

Le pitch : la « révolution de velours » de l’un des restaurants les plus célèbres au monde

« Qui n’a jamais entendu parler de la Tour d’Argent dans le monde ? » se demande Philippe Labbé, le nouveau chef de l’institution gastronomique, quand on l’interroge sur la notoriété du restaurant dont il est aux commandes depuis le printemps 2016. Il n’a évidemment pas tort. Dans l’imaginaire collectif français, la Tour d’Argent représente l’excellence culinaire française dans son expression la plus aboutie. Au-delà des frontières, le restaurant, associé à l’histoire de Paris avec un grand H, incarne également, et peut-être plus que toute autre adresse parisienne, le grand restaurant français, avec son faste, son lot de mythes et sa part de rêve. Sans oublier une posture inaccessible pour le commun des mortels. Une impression renforcée depuis que le restaurant s’est hissé  en 1937  au sixième étage de son immeuble du quai de la Tournelle. Pour profiter des vues spectaculaires sur la Seine et Notre-Dame mais aussi pour mieux s’abriter des regards indiscrets.

  • Portrait d'André Terrail qui acheta la Tour d'Argent en 1911 et la propulsa au sommet © La Tour d'Argent
  • Claude Terrail, le fils d'André, prit le relais en 1947. Il est considéré comme l'un des plus grands restaurateurs français de l'Histoire © La Tour d'Argent

 

Mais prenons le temps de revenir arrière pour comprendre les origines de la légende. Avant de s’imposer comme l’un des fleurons gastronomiques parisiens , sous la houlette d’André Terrail premier du nom, acquéreur du restaurant en 1911, puis de son fils Claude, la Tour d’Argent pouvait déjà s’enorgueillir d’être l’un des plus anciens restaurants de la capitale. D’après les dires de la Tour, on retrouverait des traces du restaurant sous l’appellation Hostellerie de la Tour d’Argent dès la fin du XVIème siècle, en 1582 ! Sans que cela ne soit véritablement confirmé, l’histoire du restaurant voudrait que le roi Henri IV en personne ait été un habitué des lieux. C'est ici qu'il serait venu déguster la poule au pot ou le pâté de héron qui firent la réputation de Rourteau, le maître de maison. Louis XIV lui-même aurait également eu ses habitudes au restaurant, faisant le déplacement depuis Versailles ! Mais l’histoire de la Tour telle qu’on la connaît aujourd’hui ne débute réellement qu’au milieu du XIXème, époque à laquelle le Maître d’Hôtel Frédéric Delair en devient le propriétaire. C’est lui, qui, sûr de la maîtrise de la recette du canard au sang signature de la maison, décidera de numéroter chaque volatile servi dès 1890. Plus d’un siècle plus tard, le rituel est toujours de rigueur. Il nous permet d’ailleurs d’apprendre que plus d’un million de canards avaient laissé leurs plumes dans les cuisines de la Tour dès la fin avril 2003. Quatorze ans et cent cinquante mille canards plus tard, le compteur tourne toujours !

Mais c’est bien la famille Terrail qui fera entrer le restaurant dans la postérité. Tout d’abord grâce à André qui le racheta en 1911 avant de l’emmener vers des sommets, dans tous les sens du terme. En 1933, le restaurant est récompensé de trois étoiles par le Guide Michelin, le Graal gastronomique. Quatre années plus tard, il se hisse au sixième étage du 15 quai de la Tournelle.

C’est en 1937 que la Tour d’Argent s’installa au 6ème étage de l’immeuble qu’elle occupe quai de la Tournelle © La Tour d’Argent

 

Puis sous la direction de Claude Terrail, fils d'André, restaurateur visionnaire, dandy, noceur invétéré mais aussi grand résistant pendant la Seconde Guerre mondiale et fidèle de la 2ème division blindée aux côtés du Général Leclerc. C’est lui qui mura, de ses propres mains, une partie de la cave du restaurant (500,000 bouteilles à l’époque) pour éviter que les nazis s’en empare. Résumer l’histoire de la Tour pendant l’ère Claude Terrail tient de la gageure. L’homme qui aimait à répéter qu’« il n’est rien de plus sérieux que le plaisir » fit de la Tour d’Argent l’établissement de légende que l’on connaît tous, fréquenté par les têtes couronnées (la reine Elizabeth II, l’Empereur Hirohito) comme par les stars d’Hollywood (John Wayne, Errol Flynn, Ava Gardner ou Marilyn Monroe). Malgré la perte de la troisième étoile en 1996, la Tour d’Argent a atteint dans la seconde moitié du XXème siècle une dimension inédite. Plus qu’une table d’exception, plus qu’un restaurant de grands chefs, la Tour est devenue, sous le règne de Claude Terrail, le symbole du grand restaurant à la française.

Depuis 2006, c’est au jeune André Terrail, second du nom et fils de Claude que revient la lourde responsabilité de présider aux destinées du monument gastronomique façonné au fil des décennies par Frédéric Delair, son grand-père André et finalement son père Claude. C’est lui qui choisira, au printemps 2016 de s’allouer les services du d’une pointure habituée à décrocher les étoiles pour moderniser l’assiette sans trahir l’esprit du lieu. « Nous visons l’excellence et souhaitons retrouver les étoiles que mon père Claude et mon grand-père André avaient obtenues » explique-t-il, confiant. Pour Philippe Labbé, le nouveau patron des illustres cuisines de la Tour, le défi est à la hauteur de la renommée du restaurant.

André Terrail, second du nom, et Philippe Labbé, le duo désormais aux commandes de la Tour © La Tour d’Argent

 

Découvrez notre entretien complet avec Philippe Labbé pour en savoir plus sur son parcours, ses inspirations et sa vision.

L’esprit festif de la Tour d’Argent flotte sur cette carte vertigineuse et étourdissante de choix.

 

Dans l’assiette

« Une cuisine de produits et de goûts, alliant tradition et modernité » décrit prudemment Philippe Labbé, évoquant le nouveau menu mis en place à toute vitesse au printemps dernier. L’ancien chef doublement étoilé de la Chèvre d’Or à Èze et de L’Abeille au Shangri-La Paris, arrivé il y a moins d’un an pour faire vivre à la Tour d’Argent sa « révolution de velours », admet néanmoins être « le premier à réformer la cuisine de la Tour d’Argent ». Voilà qui n’est certainement pas rien. Si Philippe Labbé est modeste, un déjeuner à la Tour d’Argent, permet de nous rendre compte du travail titanesque accompli depuis son arrivée, il y a seulement une dizaine de mois. Avant-même de goûter, le menu impressionne d’emblée. Il y a bien là un menu déjeuner (une « formule », plus abordable dans tous les sens du terme), un menu dégustation et les incontournables signatures de la maison : le légendaire « Caneton Frédéric Delair » sans oublier l’opulent et un brin décadent « Caneton de Liliane Burgaud à la truffe noire, en cinq services ». Juste à côté, on retrouve une carte. Étoffée et affriolante avec ses beaux produits et des intitulés aussi précis qu’appétissants. Les « premières grosses asperges blanches de la Ferme de Nogaret, cuites au bouillon de truffe acidulé » y côtoient le « homard bleu de casier des Îles Chausey » ou ce très luxueux « bœuf de l'Aubrac et caviar Impérial, morceau choisi rôti, royale de moelle » et autres farandoles de bonnes choses. L’esprit festif de la Tour d’Argent flotte sur cette carte vertigineuse, étourdissante de choix, véritable vitrine de ce que la gastronomie française a à offrir de meilleur.

  • Le légendaire canard n'a pas disparu de la carte de la Tour d'Argent © YONDER.fr
  • Sa découpe se fait toujours en salle, devant les hôtes © YONDER.fr

 

Puis vient le moment de la vérité. Celui de la dégustation. Les mises en bouche (une très originale sucette de topinambour ou une betterave aérienne) annoncent la couleur : Philippe Labbé s’est donné les moyens de projeter le restaurant dont il a la responsabilité dans le XXIème . Au-delà de ces clins d’œil à une cuisine très contemporaine, l’ancien élève de Bernard Loiseau épate par sa capacité à redonner son éclat aux grands classiques de la Tour, des quenelles, intitulées à raison « quenelle du 21ème  siècle, hommage au grand » au fameux canard au sang, qui arrive effectivement avec son étiquette numéroté, fidèle au cérémonial imaginé par Frédéric Delair il y a de cela 127 ans, en passant par de nouvelles créations dans l'air du temps  comme ce fabuleux chevreuil de chasse de Sologne servi avec ses jus en verre ou une aile de raie très graphique. Derrière chaque plat, une multiplicité de facteurs créent l'enthousiasme. Des recettes millimétrées mettant brillamment en scène les plus beaux produits des terroirs français. Une technique quintessentielle du patrimoine culinaire hexagonal avec des jus et des sauces époustouflants. Un ancrage contemporain évident, esthétique et gustatif. Sans oublier quelques fulgurances d’inventivité.

La cuisine de Philippe Labbé allie incontestablement « tradition et modernité » comme il l'explique lui-même. Mais elle concilie également raffinement et gourmandise. Sophistication et plaisir simple. Complexité et lisibilité. Moins d’un an après son arrivée et malgré sa volonté de continuer à se perfectionner au quotidien, Philippe Labbé semble avoir relevé le défi : rendre à l’assiette de la Tour d’Argent ses lettres de noblesse, un temps disparues.

  • Aile de raie bouclée de petit bateau, citron de Menton, câpres, amandes, salicornes, poudre de noisettes © YONDER.fr
  • Chevreuil de chasse de Sologne, côte rôtie aux céleris, sauce poivrade, civet de kamut, émulsion de Gevrey-Chambertin, consommé à l'essence de tanaisie de Chamaret © YONDER.fr

 

« On vient à la Tour pour dîner, arrivé là on regarde » disait Sacha Guitry au sujet de la Tour d’Argent.

 

Dans la salle

« On vient à la Tour pour dîner, arrivé là on regarde » disait Sacha Guitry au sujet de la Tour d’Argent, avec son irremplaçable sens de la formule. Et en effet, difficile de rester insensible au charme de cette vue qui embrasse Paris et ses quais, unanimement considérée comme l’une des plus belles de la capitale. Côté intérieur, le classicisme est encore de mise (boiseries, épaisse moquette bleu et or) mais la « révolution de velours » voulue par André Terrail se fait par petites touches, se réservant aux regards les plus attentifs. Une nouvelle porcelaine, verrerie et argenterie ont ainsi été introduits. « On n’oublie pas un repas sur ce promontoire installé entre le ciel et la Seine, véritable hymne à la beauté de Paris. » épiloguqe l’éminent chroniqueur gastronomique Nicolas de Rabaudy au sujet de la Tour. On ne peut que se ranger derrière cet avis.

  • Intérieur de la salle de la Tour d'Argent © YONDER.fr
  • Vue sur Notre-Dame depuis la salle à manger © YONDER.fr

 

La « révolution de velours » voulue par André Terrail et mise en musique par Philippe Labbé, permet à la Tour de faire un retour remarqué sur le devant de la scène.

 

Le service

Confortablement installé face à Paris, l’équipe de sommellerie de David Ridgway nous fait lire une carte des vins épaisse comme le bottin (plus de 15,000 références et 350,000 bouteilles, ça demande un peu d’espace) tandis que l’équipe en salle découpe canards et gibiers, dresse les assiettes avec célérité et délicatesse, flambe les crèmes Mademoiselle, prend le temps d’échanger des anecdotes historiques avec les tables d'habitués ou prend en photos les couples de touristes étrangers… Qui dit restaurant d’exception dit service exceptionnel. La Tour d’Argent n’échappe pas à la règle avec son ballet de maîtres d’hôtels en queue de pie, son service « au guéridon » et sa fascinante théâtralité.
 

L’addition

Qui dit restaurant d’exception dit également addition extraordinaire, au sens premier du terme. Entrées de 68€ à 145€, plats de 82 à 155€, desserts de 34 à 54€. Il faudra débourser 370€ pour l’incroyable « Caneton de Liliane Burgaud à la truffe noire, en cinq services » ou presque autant (350€) pour le menu dégustation carte blanche en six services imaginé par Philippe Labbé. Sans les vins. Deux bonnes nouvelles tout de même pour les bourses les moins garnies : le menu déjeuner à 105€ (entrée, plat, dessert) permet une introduction plus raisonnable à l’univers hors norme de la Tour d’Argent tandis que l’imposante carte des vins propose quelques beaux flacons à des tarifs raisonnables.
 

Quenelle du 21e siècle, hommage au grand-père, sauce fleurette gratinée aux écrevisses, oxalis © YONDER.fr

 

Le mot de la fin

Il fut un temps, pas si lointain, où la Tour d’Argent n’avait plus les faveurs des Parisiens. L’institution gastronomique du 5ème arrondissement, comme engloutie par le poids de sa propre histoire, avait fini par perdre de son pouvoir de séduction. L’air de renouveau qui souffle sur les quais de Seine devrait rapidement changer la donne. La « révolution de velours » voulue par André Terrail et mise en musique par Philippe Labbé, permet à la Tour de faire un retour remarqué – et remarquable – sur le devant de la scène. La cuisine de haut vol, mettant à l’honneur les meilleurs produits dans un subtil équilibre entre tradition et approche contemporaine, justifie à elle seule de réserver à la Tour d’Argent. Le service théâtral et la beauté de la vue garantissent d’y passer un moment épicurien inoubliable. À vivre au moins dans sa vie.
 

À lire également, notre interview exclusive de Philippe Labbé

 

PRATIQUE

La Tour d’Argent

15 quai de la Tournelle
Paris 5ème

Ouvert du mardi au samedi, au déjeuner et au dîner.

Tél : 
+33 1 43 54 23 31
E-mail : resa@tourdargent.com
Informations sur le site Web de La Tour d’Argent

La Rôtisserie

Claude Terrail, en restaurarateur visionnaire, avait dès la fin des années 1980 créé une annexe dédiée à la cuisine bistrotière améliorée, devançant largement le mouvement bistronomique. Au 19 quai de la Tournelle, La Rôtisserie d'Argent, récemment rénovée, se la joue plus que jamais bistrot de carte postale avec ses bons petits plats et sa carte abordable en toutes circonstances. Bien vu.

Pratique : 19, quai de la Tournelle (Paris 5ème) / Tél.: 01 43 54 17 47

La Boulangerie

La Tour d'Argent peut compter sur son propre pain, issue de sa nouvelle boulangerie, installée à l’angle du quai de la Tournelle et de la rue Cardinal Lemoine. Si les fourneaux du Boulanger de la Tour ont pour objectif d'approvisionner en pain les tables du restaurant, le lieu a aussi vocation à devenir « une boulangerie de quartier », ouverte à toutes et à tous et pratiquant des prix standards (1€ la baguette). Une jolie initiative pour réancrer le restaurant dans son environnement.