Mathieu BelayMathieu Belay, Le dimanche 18 septembre 2016
Chefs

Les 50 chefs qui font Paris #15 : rencontre avec Christophe Pelé (Le Clarence)

Chef au profil atypique ayant su séduire aussi bien le Michelin que le Fooding, Christophe Pelé officie depuis l’automne 2015 au Clarence dans l’un des restaurants les plus fastueux de la capitale. Rencontre avec un cuisinier pas comme les autres.
  • Christophe Pelé dans les cuisines du Clarence, son nouveau chez-lui depuis l'automne 2015 © Le Clarence
    Christophe Pelé dans les cuisines du Clarence, son nouveau chez-lui depuis l'automne 2015 © Le Clarence
Christophe Pelé fut l’un des seuls chefs à savoir séduire deux univers gastronomiques semblant parfois irréconciliables : le classicisme du Michelin et la créativité débridée du Fooding.

Dans le cadre cossu du Clarence - l’hôtel particulier du Prince Robert de Luxembourg, propriétaire du domaine Haut-Brion (premier grand cru bordelais classé en 1855) et de la maison Clarence Dillon – c’est un Christophe Pelé décontracté qui nous reçoit. Quant il était chez lui, à la Bigarrade, il fut l’un des seuls chefs à savoir séduire deux univers gastronomiques semblant parfois irréconciliables : le classicisme du Michelin (il glanera deux étoiles dans son restaurant de poche du 17ème arrondissement) et la créativité débridée du Fooding qui le consacrera de son trophée du Meilleur Cuisinier en 2008. Il n’y avait donc rien d’évident à imaginer un chef au parcours aussi atypique prendre les rênes des cuisines d’un restaurant comme le Clarence, ayant pour ambition assumée d’entrer dans le cénacle des tables les plus prestigieuses de la capitale. Ce serait pourtant vite oublier que Christophe Pelé, avant de faire le bonheur des foodistas avec ses menus façon omakase, a connu le faste des grandes maisons parisiennes. Le Pavillon Ledoyen, Lasserre (comme Antoine Pétrus, sommelier et Directeur de la Restauration, avec lequel il partage l’affiche de ce restaurant décidément hors norme) ou le Royal Monceau. La rigueur, la technique, la pression, autant d’aspects de la gastronomie de haut niveau qu’il apprendra à gérer, aux côtés d’équipes pléthoriques. Avant de revenir aux fondamentaux quand il quittera le policé 8ème arrondissement  pour les Batignolles en 2007.

Une petite décennie plus tard, on retrouve le chef s’enthousiasmer au sujet de ce nouveau challenge que lui a confié le Prince Robert de Luxembourg. Il rêvait de revenir dans le Triangle d’Or, le voici exaucé. Sur son parcours, ses inspirations ou sa vision de la cuisine, Christophe Pelé nous en dit en plus. Sans langue de bois et sans détour. Fidèle à lui-même.
 

LES DÉBUTS

Yonder : Bonjour Christophe Pelé. Revenons sur vos débuts. Quel moment identifiez-vous comme un déclic dans votre vie de cuisinier ?

Christophe Pelé : À l’âge de 13-14 ans, j’ai déménagé de la banlieue parisienne en Touraine d’où mes parents étaient originaires. Ma scolarité a alors été assez chaotique avec une troisième catastrophique [Rires]. Quand on m’a proposé de redoubler, j’ai préféré me réorienter. Le sport était une possibilité mais j’ai choisi la cuisine. Je faisais beaucoup de pâtisserie à la maison et j’étais très gourmand !

Vous en gardez de bons souvenirs ?

Quitter ses parents à l’âge de 15 ans, couper le bois et allumer le feu en arrivant le matin, étouffer les pigeons, c’était brutal ! Et très campagnard, alors que j’étais banlieusard.

À quel moment vous dirigez-vous véritablement vers l’excellence ?

Pendant une dizaine d’années, j’ai travaillé dans des petits restaurants, traditionnels. Des passionnés mais pas des étoilés. J’étais encore loin de cet univers. À 25 ans, j’ai pris conscience que la cuisine était mon métier. J’ai eu l’opportunité de venir à Paris, c’est là que les choses sérieuses ont commencé.

Vous rejoignez alors de grandes maisons…

Oui, chez Ledoyen, en tant que chef de partie, pendant un an puis chez Lasserre en tant que demi chef de partie. C’était un nouvel apprentissage pour moi. La pression, la structure… ça a été été assez violent pour moi mais c’est ce qui m’a fait progressé.

  • Portrait de Christophe Pelé © Le Clarence
  • En cuisine avec Antoine Pétrus, sommelier et Directeur de la Restauration du Clarence © Le Clarence

 

En fermant la Bigarrade, « plein de gens m’ont dit que j’étais fou de quitter une affaire qui fonctionnait ! »

 

LA RENCONTRE AVEC BRUNO CIRINO

Puis il y a la rencontre avec Bruno Cirino au Royal Monceau.

Sa cuisine a été un vrai coup de cœur. Les cuisines de Ledoyen et de Lasserre étaient très belles mais il me manquait encore quelque chose, pour atteindre une nouvelle dimension. La forte personnalité de Bruno Cirino, son amour du produit, la beauté du geste, le fait qu’il soit toujours en cuisine, tout cela m’a permis de trouver ma voie.

Cela vous a ouvert les yeux ?

Oui, complètement. Il est un artisan authentique, toujours au piano. J’ai décidé de tout lui donner, j’avais une confiance illimitée. J’ai tout de suite su que c’était lui, que j’allais rester à ses côtés un moment.

Vous prenez d’ailleurs sa succession au Royal Monceau en 2003.

Après être passé chez Pierre Gagnaire et au Bristol, j’ai retrouvé le Royal Monceau où je lui ai effectivement succédé quelques mois plus tard, à son départ. C’est lui qui a su chercher ce que j’avais en moi et qui a permis d’exploiter mon potentiel.

LA BIGARRADE

En 2007, vous ouvrez votre premier restaurant dans le 17ème arrondissement de Paris, La Bigarrade. Vous êtes récompensé du Trophée Fooding du Meilleur Chef en 2008 et dans la foulée vous obtenez deux étoiles Michelin. Cela prouve que vous conciliez alors classicisme et créativité ?

C’est exact mais ce n’est pas quelque chose auquel je pensais. Tout s’est fait très naturellement.

Quelle était votre cuisine à La Bigarrade ?

Je suis passé d’une brigade de quinze personnes au Royal Monceau à être deux en cuisine à La Bigarrade avec Giuliano Sperandio, qui est encore avec moi aujourd’hui. La remise en question était totale : un restaurant de quartier, une vingtaine de places seulement, pas de devanture, pas de carte…

Le succès s’est fait par la bouche à oreille ?

Les gens se le sont appropriés et en ont fait la com’ ! Je n’avais plus qu’à faire la cuisine, mon métier. Ce qui m’allait très bien.

Malgré une belle réussite, vous décidez de passer à autre chose en 2013.

C’était six ans de travail dans un petit lieu de 75 mètres carrés que j’avais poussé à son maximum. Je ne pouvais pas l’emmener plus loin et je n’avais pas envie de refaire la même chose en plus grand, il me fallait un nouveau challenge. Pourtant, plein de gens m’ont dit que j’étais fou de quitter une affaire qui fonctionnait !

C’est un choix que vous assumez avec le recul ?

Complètement. J’ai aussi voulu voir ma fille grandir, il y avait une prise de conscience que l’on n’est rien et que demain on peut ne plus être là. C’était aussi une manière de mettre ma carrière professionnelle de côté. Je suis ravi de l’avoir fait.

Vous travaillez ensuite à Hong Kong en tant que consultant.

Tout à fait. Avec Frédéric Pénaud qui était le propriétaire du Chateaubriand et qui ouvrait une affaire à Hong Kong. L'idée était intéressante donc je suis resté un moment pour les aider à monter ce restaurant dans Wan Chai, une semaine par mois sur place. J’ai fait ça pendant un an et demi. Au bout de deux ans, le restaurant gagnait une étoile Michelin. Ça a été une super expérience.

  • Christophe Pelé en cuisine © Le Clarence
  • Christophe Pelé en cuisine © Le Clarence

 

« Si un jour je n’ai plus rien à raconter en cuisine, je passerais à autre chose ».

 

L’ARRIVÉE AU CLARENCE

Puis vous revenez de manière définitive à Paris pour participer à la création du Clarence, à deux pas de Lasserre et de Ledoyen où vous avez fait vos débuts

En quittant La Bigarrade, je m’étais toujours dit que ce serait le 8ème ou rien ! La Bigarrade aux Batignolles, c’était très bien mais c’était raide ! J’avais envie de retrouver plus de moyens pour développer plus de facettes. Je suis avide d’apprentissage et de découverte. Revenir dans le 8ème était une façon de continuer à grandir, peut-être de m’assagir aussi [Rires].

Les univers entre La Bigarrade, restaurant indépendant intimiste et Le Clarence, l’archétype de la grande maison parisienne, sont très différents, pour ne pas dire opposés.

C’était un peu un choc effectivement ! Mais l’opportunité était là, le désir était là, avec beaucoup de nouveaux challenges donc j’ai foncé. L’ennui m’emm… Je préfère m’ennuyer chez moi que m’ennuyer dans mon restaurant. Si un jour je n’ai plus rien à raconter en cuisine, je passerais à autre chose. Le risque fait partie de nos vies quotidiennes, ne perdons pas de temps !

Vous aviez déjà rencontré Antoine Pétrus [le directeur de la restauration et le chef sommelier du Clarence, NDLR] auparavant ?

Hippolyte Courty [de l'Arbre à Café, NDLR], l’un de mes fournisseurs et connaissance commune, devait nous présenter mais ça ne s’est jamais fait, faute de temps. On était tous les deux passés par Lasserre qui plus est, donc j’ai évidemment retenu son nom. Le fait que l’on ait évolué dans des univers totalement opposés m’a donné envie d’en savoir plus.

Comment définiriez-vous votre cuisine, aujourd’hui au Clarence ?

Ah. Quelle question ! [Il marque une pause et hésite, NDLR] Sincère, honnête, actuelle. C’est difficile de mettre un mot dessus. Je suis libre de faire ce que je veux, c’est le plus important. J’ai bossé toute ma vie pour être libre. Même si je ne l’ai jamais demandé spécifiquement ici, la relation de confiance s’est faite naturellement.

Le décor vous a intimidé ?

Je ne cache pas que je me suis posé beaucoup de questions au début. J’ai vu le lieu à nu une première fois puis, petit à petit, j’ai découvert un cadre opulent, très beau. Ça crée un peu de stress, forcément. On a commencé de manière très classique, puis, progressivement on a amené la cuisine qu’on aime tout en conservant un fond classique. La créativité pour la créativité ne m’intéresse pas.

Vous préférez faire plaisir au client ?

C’est fondamental, oui. La créativité doit être au service de la cuisine et du client. Les clients viennent prendre du plaisir, il faut être à leur écoute pour qu’ils reviennent. Le cuisinier ne doit pas être obstiné, il doit savoir s’adapter.

  • Grouse d"Écosse, lard de Colonnata, casseron, pommes soufflées © Yonder.fr
  • Rouget, aubergines caramélisées, poutargue © Yonder.fr

 

« J’ai un très beau souvenir chez Alexandre Gauthier [...] C’était une expérience de vie et de plaisir fabuleuse ».

 

INSPIRATIONS & INFLUENCES

Au-delà des chefs avec lesquels vous avez travaillé directement, quels sont ceux qui ont influencé votre cuisine ?

Gagnaire évidemment, même si j’ai travaillé avec lui. Pascal Barbot il y a quelques années, Iñaki [Aizipitarte, le chef du Chateaubriand, NDLR] qui est un ami et chez lequel j’allais m’encanailler le samedi soir. L’idée n’était pas du tout de copier mais plutôt de regarder les tendances.

Et des tables qui vous ont marquées, sans que cela soit nécessairement une influence ?

Mugaritz en Espagne, j’y suis allé lors d’une virée solitaire en Espagne. J’ai passé un joli moment, l’ensemble m’a plu. J’ai un très beau souvenir chez Alexandre Gauthier dans son ancien restaurant façon auberge, avant qu’il n’ouvre La Grenouillère. J’y étais en famille un samedi soir d’hiver, il neigeait. Alexandre avait préparé une assiette de gnocchis de toutes les couleurs pour ma fille avant que l’on aille dîner. C’était une expérience de vie et de plaisir fabuleuse.

D’autres moments marquants ?

Dans des endroits plus simples. J’ai de supers souvenirs au Baratin, j’y allais souvent dîner le samedi soir quand je n’étais pas en service au Royal Monceau. J’avais l’impression d’être reçu par papa et maman ! Tout était bon, on va au restaurant pour ça avant tout.

Et inversement, est-ce qu’il y a des tables où vous aimeriez aller mais où vous n’êtes pas encore allé ?

Il y en a plein ! Au Pays Basque, j’aimerais aller chez Etxebarri, qui fait beaucoup de cuisson à la braise. J’ai aussi envie d’Italie, pas tant pour un chef en particulier que pour la cuisine authentique des « mamma ». Manger de la culture, c’est important aussi.

 

AUJOURD’HUI ET DEMAIN AU CLARENCE

Est-ce qu’il y a des ambitions particulières pour Le Clarence, notamment pour le Michelin 2017 ?

Je veux d’abord me concentrer sur la rentrée et l’automne, jusqu’à décembre. Mon objectif est avant tout d’avoir un restaurant plein. On a vécu une période extrêmement compliquée depuis les attentats de novembre dernier. C’est très dur pour tout le monde et ça exige une véritable remise en question. Rien n’est acquis. Notre quotidien est fait de plus en plus d’incertitudes, il faut s’adapter.

Il y a une solidarité entre les chefs face à cette situation ?

On est en compétition mais on est tous sur le même bateau au final. Yannick Alléno nous a prêté du sang de cochon pas plus tard aujourd’hui, c’était adorable de sa part.

Le mot de la fin ?

Tous ensemble, refaisons briller Paris, tous ensemble ! [Rires] Avec le contexte d’aujourd’hui, si on peut apporter quelque chose, il faut qu’on le fasse.
 

À lire également, notre récit de découverte du Clarence