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Pierre GuntherPierre Gunther, Le lundi 29 avril 2024
Un autre regard

Venise par Didier Guillon, artiste et créateur de la Fondation Valmont

Alors que son ancêtre Charles Sedelmeyer était un grand marchand d’art classique, Didier Guillon, PDG des cosmétiques suisses Valmont et de la Fondation Valmont, a ouvert 4 résidences dédiées à l’art contemporain, dont le Palais Bonvicini à Venise. Entretien sur la lagune.
  • Le salon du Palazzo Bonvicini et le triptyque de Sophie Westerlind 
    Le salon du Palazzo Bonvicini et le triptyque de Sophie Westerlind 

En 2015 naissait la Fondation Valmont, sous l’impulsion de Didier Guillon, PDG de Valmont, bien décidé à marier une passion personnelle et une nouvelle manière de toucher les clients et partenaires de la marque suisse reconnue pour son expertise dans la cosmétique cellulaire. Communiquer autrement, oui, mais toujours en suivant son instinct et ses coups de cœur, que ce soient les artistes faisant partie de la collection, et les 4 lieux qui l’incarnent : à Hydra, Verbier, la nouvelle Casa Maxence à Barcelone et le Palazzo Bonvicini à Venise. Datant du XVIe siècle, le palais accueille aujourd’hui les expositions de la Fondation Valmont, trois chambres pour les artistes et quelques happy few, qui, le temps d’une nuit ou deux, découvrent de l’intérieur la collection et les expériences proposées par la Fondation, dans un format quasi-hôtelier que nous étions curieux de connaître. Didier Guillon réside désormais dans la Cité des Doges, et nous livre sa vision de la Fondation Valmont, son futur, et aussi ses bonnes adresses à Venise.

  • Didier Guillon
    Didier Guillon

 

YONDER : le Palais Bonvicini offre à quelques chanceux l’occasion de séjourner dans un lieu exceptionnel. Est-ce que ce sont les débuts de Valmont dans le secteur de l’hospitalité ?

Didier Guillon : à l’origine, en 1905, Valmont est une clinique de balnéothérapie. Un des plus grands collectionneurs d’art moderne de l’époque, le Dr Henri-Auguste Widmer, qui a légué sa collection au musée de Lausanne, y reçoit une clientèle incroyable comme Coco Chanel. La marque Valmont dès sa naissance n’est donc pas que de la cosmétique, mais aussi de l’hospitalité.

Aujourd’hui, le luxe cherche une nouvelle distribution, il est en train de perdre ses canaux traditionnels et c’est tant mieux. Je vois dans l’hospitalité un environnement qui me permet de parler du produit avec émotion. Valmont a un terrain de jeu énorme en mettant le pied dans l’hospitalité parce que c’est comme ça que l’on comprend les clients, leurs attentes, que l’on peut échanger en direct avec eux et les fait rentrer dans une autre dimension, je dirais presque romantique, en leur proposant des voyages, des expériences.

  • Palazzo Bonvicini
    Palazzo Bonvicini

 

Il nous faut des partenariats car on ne va pas créer des résidences dans le monde entier. J’aimerais bien, par exemple, trouver au Japon ou en Chine, à Principe au large de l’Afrique, dans l’Oregon ou le comté de Washington. Le plus important, c’est de trouver non pas uniquement un hôtel avec un joli spa, mais un lieu avec des engagements plus contemporains, qui permettent de toucher une clientèle plus jeune. Un environnement qui permette de s’intéresser aussi à la biodiversité, à la durabilité et à la communauté. 

 

Quels sont les artistes que l’on peut découvrir à Venise ?

Créer une fondation était la suite logique de tout ce que nous avons fait pour Valmont, avec une production artistique qui permet de communiquer différemment des autres marques de cosmétique, sans utiliser d’égéries de papier glacé. L’art est intemporel et universel, il ne souffre pas de processus de vieillissement. Et puis, cela me permettait de m’amuser et de sortir de ma zone de confort. On s’est installé à Venise parce que c’est une destination universelle où le monde entier se rencontre, où l’art s’expose dans toute la ville. Tous les palais s’ouvrent à l’art, on y découvre le meilleur, et c’est également une destination de concept : on va voir à Venise ce que l’on va potentiellement acheter à Art Basel, à Miami à la Frieze de New York.

Palazzo Bonvicini

 

Au Palais Bonvicini, on peut voir un triptyque de Sophie Westerlind ou des tableaux d’Yves Lévêque. Yves a 84 ans, c’est un artiste oublié parce qu’il a un sacré caractère, mais il possède une telle jeunesse dans son expression, une légèreté… Nous avons aussi un artiste tchèque que j’ai eu la chance de rencontrer à Prague, qui s’appelle Pavel Roučka. Sans oublier Kimiko Yoshida, une grande artiste japonaise qui vit entre Paris, Tokyo et Venise et qui fait des autoportraits. Elle passe parfois 10 ou 11 heures dans le processus de préparation. Beaucoup d’artistes sont devenus mes amis, comme Isao, un artiste catalan, Frédéric Amat, Aristide Najean… Je fonctionne avec le cœur, pas avec les chiffres.

L’hospitalité est de plus en plus synonyme d’expériences. À Venise, la fondation accueille, en plus des artistes, des clients chanceux qui peuvent y passer la nuit. Quelles sont les portes que vous pouvez leur ouvrir ?

Nous avons participé à la restauration du jardin del Redentore, l’église qui avait été construite par Palladio en 1592 sur la Giudecca pour célébrer la fin de la Grande peste. Il y avait un jardin magnifique qui avait été laissé complètement en friche, où l’on trouvait seulement un petit potager entretenu par des moines. Demain, ce jardin nous servira à faire des « little journeys », c’est-à-dire que j’y emmènerai nos invités pour passer un moment, s’installer sur la pelouse, faire de la méditation… C’est complètement à l’écart de San-Marco et du flux touristique. 

Ce que l’on aime par-dessus tout à Venise avec la Fondation Valmont, c’est créer ce qu’on appelle les itinéraires, en italien itinerari. On a organisé cela pour la découverte de la Casa Balboni, qui a été refaite par Carlo Scarpa. Nous sommes partis de la Casa avant de passer à la Fondation Valmont, puis nous avons pris le bateau pour terminer à la Galerie 2212.

Un autre événement que j’ai adoré, « Les Arômes du Cru », faisait le lien entre parfumerie et nourriture. Nous avons privatisé le restaurant Casa Cappellari de Silvia Tiburzi, et, sur une énorme table, nous avions disposé des légumes crus, des fruits crus, des plantes aromatiques, et chaque participant devait composer un plat si puissant aromatiquement, que cela pouvait évoquer un parfum. 

  • L’île de Mazzorbo © AdobeStock
    L’île de Mazzorbo © AdobeStock

 

Quel est l’endroit où vous emmenez toujours vos amis à Venise ?

Ce serait le jardin du Santissimo Redentore, c'est sûr, magnifique. Et si je veux être sûr de leur faire découvrir quelque chose, je les emmène tout au bout de l’île de Pellestrina. Il y a une petite réserve naturelle où on trouve des bunkers qui sont absolument incroyables, parce que toute la végétation et les pins ont poussé autour et on dirait d’énormes sculptures précolombiennes. Sur le retour, au bout d’une digue, on finit dans un restaurant de mamma si l’on peut dire, qui s’appelle Ai Pescatori, sans aucuns touristes car c’est trop loin. 

On m’a aussi invité à déjeuner sur l’île de Mazzorbo récemment, au restaurant Venissa. Tout est local, la salade vient de leur jardin, et ils vous font manger des espèces invasives qui détruisent les espèces locales de la lagune, dans une optique de durabilité. 
Par exemple le crabe bleu, qui est en train de concurrencer les mołeche. 
Sinon, l’île de Torcello est très belle aussi, San Francesco del Deserto également… c’est infini, avec un bateau on peut faire tellement de choses.

 

Le Palais Bonvicini accueille des artistes en résidence et des expositions, pouvez-vous nous en dire plus ? 

Au Palais, on partage, on discute des grands sujets de société, des grands sujets artistiques. L’idée sous-jacente est que les grands mouvements d’art sont apparus car des artistes ont échangé entre eux. Au début du XXème siècle, les Picasso, Calder, Miró, tous ces artistes se retrouvaient à Paris, la Ville lumière, puis à New York pour les expressionnistes abstraits, Pollock, Rothko, etc. À toute petite échelle, modestement, nous aimons constituer ces rencontres. Nous allons prochainement recevoir les artistes avec lesquels nous organisons l’exposition Ulysses. We are all Heroes (jusqu’au 23.02.2025). 

Palazzo Bonvicini

Exposition en cours :

Ulysses. We are all Heroes
jusqu'au 23 fév. 2025

Santa Croce, Calle Agnello, 2161/A, Venise

Tous les jours : 10h - 18h
gratuit