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Florence ValencourtFlorence Valencourt, Le mardi 04 juillet 2023
Chefs

Rencontre avec Romain Meder, chantre de la Naturalité 

En gastronomie aussi, il y a certaines rencontres plus marquantes que d'autres. Et, parfois, il faut du temps pour en saisir toute la portée. Comme les plantes sauvages, elles doivent infuser pour dispenser leurs bienfaits. C'est le cas pour notre entretien avec Romain Meder, chef du restaurant étoilé Les Chemins, au Domaine de Primard (Les Domaines de Fontenille). À déguster à petites gorgées. 
  • Le Domaine de Primard, nouvel écrin du restaurant Les Chemins de Romain Meder © Brunot Suet
    Le Domaine de Primard, nouvel écrin du restaurant Les Chemins de Romain Meder © Brunot Suet
  • Les Chemins © YONDER.fr
    Les Chemins © YONDER.fr
  • Le potager de Primard © YONDER.fr
    Le potager de Primard © YONDER.fr

YONDER : Si je vous demande cinq dates marquantes dans votre vie, que me répondez-vous ? 

Romain Meder : Ma naissance, forcément. Puis en 1995, le début de mon apprentissage. 2008 : ma rencontre avec Alain Ducasse. 2016 : l'obtention de la 3ème étoile. La cinquième, ce sera celle de ma mort !

 

YONDER : Entre ces dates clefs, comment raconteriez-vous votre riche parcours de cuisinier ? Aviez-vous la vocation ou pas du tout ? 

R.M. : Je ne parlerais pas de vocation, mais j'ai un grand-père cuisinier qui m'a poussé à faire de la boucherie, prétextant que les jeunes ne savent plus travailler la viande aujourd'hui. Ce en quoi il n'a pas tort. J'ai fait deux ans de boucherie/charcuterie à Vesoul et j'ai adoré ça. À ce moment-là j'hésitais encore entre devenir cuisinier et militaire. Dix mois dans l'armée de terre, d'abord à Fréjus puis en Martinique. C'est là que j'ai pris ma décision. En septembre 2000 j'ai débarqué à Paris et ai commencé à travailler chez Potel&Chabot. 

  • Romain Meder © Philippe Vaures Santamaria
    Romain Meder © Philippe Vaures Santamaria

 

Moi, j'aime la brigade, l'esprit de corps. J'ai besoin de voir du mouvement, d'un univers qui bouge autour de moi. Tout seul en cuisine, je ne serais pas bon. Chez Potel, j'ai appris à faire du volume en qualité et j'ai gravi les échelons. De 2002 à 2004, j'étais en cuisine dans le restaurant parisien d’Hélène Darroze, au moment où elle passait de la première à la deuxième étoile. Franchement, je sais ce qui peut se passer chez certains, mais moi je n'ai jamais eu de problèmes de rapports avec les femmes en cuisine ; cela n'a même jamais été un sujet. En revanche, alors que j'étais tout jeune, je me souviens que ce qui m'avait choqué c'était de devoir appeler la cheffe par son prénom ! Après ces deux ans, je suis retourné chez Potel&Chabot et c'est à ce moment-là, lors d'un dîner au musée du Louvre, que j'ai fait la rencontre d'Alain Ducasse. 

Quand on y pense, je n'ai pas fait beaucoup de maisons, mais ma philosophie est simple : tant que j'apprends, je reste. Mon but n'a jamais été d'avoir le CV parfait. 

  • Les Chemins © Philippe Vaures Santamaria
  • La courgette au vin de melon © Philippe Vaures Santamaria

 

Avec Alain Ducasse, tout commence toujours par un coup de fil... Et se termine souvent par un voyage au bout du monde !

YONDER : Racontez-nous ces années Ducasse. Qu'en retenez-vous ?

R.M. : Avec lui, c'est drôle, tout commence toujours par un coup de fil... Et se termine souvent par un voyage au bout du monde ! C'est comme ça que je me suis retrouvé à l'Île Maurice de 2008 à 2011. Je supervisais le Spoon des îles by Alain Ducasse avec pour mission d'en faire un « bébé Louis XV ». Le challenge était grand, mais c'était passionnant. Sur place, j'ai également découvert plein d'épices, de goûts, à commencer par la cacahuète. Cela a boosté ma curiosité puissance 10 ! J'ai beaucoup appris aussi auprès de Christian Julliard, chef corporate, notamment en management. 

  • Concombre, huître, algue © Philippe Vaurès Santamaria
    Concombre, huître, algue © Philippe Vaurès Santamaria

 

Puis, nouveau coup de fil : « On va ouvrir un salon de thé et un resto gastro à Doha. Je suis arrivé sur place en 2011. Il n'y avait rien. Page vierge. J'ai beaucoup voyagé dans la région pour créer une identité culinaire propre à ce lieu. C'était dur, personne ne nous connaissait, on avait du mal à s'approvisionner, mais l'équipe était très soudée et ça nous a obligé à être très créatifs. Par exemple, on n'avait pas le droit d'importer des vinaigres, on a donc travaillé sur les fermentations. Notre plat signature : le chamelon Rossini. En fait, sans le savoir ni même le vouloir à l'époque, tout ce que j'ai fait là-bas, ces contraintes, etc. Cela m'a permis de construire la Naturalité. Au bout de trois ans, alors qu'on a été élu meilleur restaurant gastronomique de la région par Time Out, Alain Ducasse vient me voir (cette fois-ci il s'est déplacé !) et m'annonce l'ouverture du restaurant au Plaza. Son idée : moins de viande et plus de produits sains. Il a la « big picture » et sent qu'il doit être acteur du changement. Pour le reste, vous connaissez l'histoire. On a ouvert en septembre 2014, en mars 2015 on obtenait 2 étoiles et la troisième un an après. Je me rappelle, Denis Courtiade (ndlr : le directeur du restaurant gastronomique) m'a dit peu de temps après : « jusqu'aux 3 étoiles, tu faisais la cuisine d'Alain Ducasse, à partir de là, tu as fait ta cuisine ». C'est là que la Naturalité a vraiment pris forme. 

  • Les Domaines de Primard © Gaëlle Le Boulicaut
    Les Domaines de Primard © Gaëlle Le Boulicaut

YONDER : Expliquez-nous, comment continuez-vous à donner forme à cette philosophie aux Chemins, à Primard ?

R.M. : C'est une démarche, un engagement, qui dépasse largement le cadre de la cuisine. Mais, en substance, c'est une approche assez radicale de la nature, basée sur un triptyque légumes-céréales-fruits. Avant, il y avait aussi le poisson, mais je me rends compte que le cœur du travail, c'est le végétal. Le but est de prouver qu'on peut faire de la haute gastronomie sans protéine carnée. La viande, cela ne se transforme pas. Je ne prends plus de plaisir à travailler la viande cuisinée. Ma « gym de cerveau » ne fonctionne pas pour le carné. 

Aux Chemins, le menu est un crescendo, en deux parties. On monte en puissance jusqu'à la betterave, puis on redémarre avec l'escargot, qui graisse le palais et re-crescendo jusqu'au homard. Sans oublier la pâtisserie. Iris, ma cheffe pâtissière était l'apprentie de Jessica Préalpato au palace parisien Le Plaza. On est sur la même longueur d'ondes. Pour mettre en place le menu, cette philosophie, je force tout le monde à réfléchir aux plats, je les emmène voir le potager, je leur explique ma démarche, ma vision des choses. Ils travaillent et puis on affine ensemble. La pédagogie, c'est important. 

  • Les Chemins © Philippe Vaurès Santamaria
  • Chocolat, café, lentille © Philippe Vaurès Santamaria

 

YONDER : Votre nouvelle ambition, c'est la transmission ? 

R.M. : Oui, c'est certain. Je ne cherche pas les meilleurs cuisiniers du monde, mais des jeunes cuisiniers qui ont envie de faire les choses le mieux possible. J'essaie de leur apporter un rapport au produit, aux hommes et femmes qui sont derrière. C'est important et cela fait partie de notre responsabilité de soutenir les petits producteurs. J'ose espérer qu'après moi, on ne regarde plus une carotte comme avant. 

YONDER : Avez-vous un légume préféré ? 

R.M. : J'ai hâte que les endives arrivent ! Je suis un fan d'amertume et j'aime dompter l'endive. Ce n'est pas évident. En plus, ce qui m'intéresse, c'est la racine. J'étais le premier à la servir au Plaza. Avec des produits simples et avec moins de moyens humains que dans un palace, il faut aller à l'essentiel du goût. Aller à la quintessence sans trop dénaturer, c'est ça qui compte, qui est le plus intéressant à mes yeux ». 

Pratique

Les Chemins

Domaine de Primard
D 16, 28260 Guainville

Ouvert du jeudi soir au dimanche midi

Réservations au 02 36 58 10 07 ou par email

lesdomainesdefontenille.com | @domainedeprimard

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