Les Chemins, loin des pavés parisiens, la nouvelle table gastronomique du chef Romain Meder
Note : 9,5/10 | Contexte : table pour deux le 30 septembre 2022 au déjeuner
Le pitch | Les Chemins, la nouvelle voie de la gastronomie
Parfois certains séismes sont une bénédiction déguisée. Un peu plus d'un an après la fin brutale de l'aventure étoilée au Plaza Athénée et son émancipation de l'ombre bienveillante du mentor Alain Ducasse, on peut l'affirmer : c'était la meilleure chose qui pouvait arriver au chef Romain Meder ! Mieux, le retrouver souriant au milieu d'un potager luxuriant et même le voir passer une tête après le service (exercice délicat pour un chef pudique et réservé), tient de l'évidence : il lui fallait s'immerger dans la nature pour donner tout son sens à sa cuisine de « Naturalité » et révéler sa personnalité.
Cet écrin, il l'a trouvé à une heure de Paris, à Bueil (Eure), au Domaine de Primard – ancienne demeure de Catherine Deneuve – qui a rejoint la collection d'hôtels des Domaines de Fontenille. Là, épaulé par Gérard, jardinier du domaine, et une équipe ultra motivée, il peut donner libre cours à son imagination et à toutes sortes d'expérimentations. En fait, plus qu'un écrin de verdure, il a trouvé à Primard un formidable terrain de jeu. D'ailleurs, après s'être « échauffé », si l'on peut dire, aux fourneaux du bistrot Octave depuis cet été, il revient à présent dans l'arène gastronomique avec Les Chemins. Il n'y a plus qu'à s'emparer de la carte et suivre le guide (forestier)...
Dans l'assiette ? Naturalité bien ordonnée
Le menu, justement, est imprimé sur un charmant papier confectionné à partir d'épluchures d'oignons. Un premier indice du chemin emprunté : celui de l'éco-responsabilité. Pas celle dont certains jeunes chefs se réclament à tout bout de champ, à grand renfort de pictos et de phrases toutes faites, mais celle qui se prouve par l'exemple, tout simplement.
La première bouchée donne le la également ; et rien ne vaut la poésie de sa présentation par le directeur de salle : « C’est une galette faite à base de farine de gland, que le chef cueille non loin du lac. À côté de ces glands, il cueille également des prunelles, pour faire le condiment assez haut en acidité, qui éveillera vos papilles. Au-dessus, vous avez des tranches de tomatillo, concombre, oignon nouveau, radis, prune, saupoudré d’une poudre d’orties. Avec cela, un kombucha fait à base de rhubarbe de notre potager, réputée pour ses vertus, saine pour notre santé ».
C'est sensible, le chef balance toujours entre sauvage et maraîchage, mais peut ici pousser le curseur encore plus loin et s'impliquer lui-même dans la cueillette, et ce pour notre plus grand bonheur de chasseurs de saveurs.
Parmi les autres plats marquants de cette balade gastronomique haut de gamme, le pois chiche, signature du chef, ici accompagné par un escargot et du kiwano (famille des cucurbitacées, goût qui oscille entre fruit de la passion et concombre), la saucisse d'huîtres : brillante idée qui lui est venue sur le bassin d'Arcachon où le surf & turf est monnaie courante, ou encore la cenelle (fruit de l'aubépine) en plusieurs façons. Difficile de ne pas tout citer tant chaque plat est pensé à la fois de manière intrinsèque et comme une étape bienvenue, jamais superflue, sur le chemin de notre palais. Le dessert de la cheffe Iris Fumey, « chocolat, café, lentille », conclut la balade sur le même thème, tout en finesse.
Mais aussi ?
Louis Muller, le sommelier des Chemins, est un allié de choix pour Romain Meder. Partageant avec lui créativité et singularité, il ose des accords étonnants et particulièrement pertinents. Sans vouloir tout dévoiler, on retiendra l'association de la bière avec le fromage, ou le kombucha de rhubarbe maison avec l'un des amuse-bouche. Encore plus innovant et totalement convaincant : le service du même vin sur deux assiettes. Non seulement on évite ainsi de multiplier les arômes, mais jouer ainsi sur les températures – vin servi frais puis tempéré sur le second plat – permet une profondeur de dégustation très intéressante.
Dans la salle ?
La salle en bois blond est lumineuse, apaisante, très ouverte sur la nature, avec de grandes baies vitrées. Pas de fioritures, et c'est tant mieux. Juste un adorable petit bouquet champêtre de fleurs séchées sur la table non nappée, une serviette blanche sertie d'un anneau boisé et un gobelet à eau translucide, presque évanescent. Les assises sont parfaites et, chose trop exceptionnelle pour ne pas être soulignée : à bonne hauteur et bonne distance. Par ailleurs, ne disposant que de vingt couverts, l'intimité de chacun durant le repas est assurée.
Le service ?
Alexandre Montré, le directeur de salle, mène le bal avec un enthousiasme communicatif. C'est feutré mais enjoué, précis et souriant à la fois, avec un vrai accent mis sur la mise en scène (le pain/beurre!!) sans qu'on ait l'impression d'être au spectacle pour autant.
Les plats à goûter ?
Tous, puisque c'est un menu unique, en plusieurs services. Une promenade à la fois gourmande, intellectuelle — sans être aride — et naturaliste, dans l'imaginaire d'un chef habité. Pas d'inquiétude, à l'instar d'un chemin dans les bois, la dégustation est balisée et chaque plat est à sa place pour exprimer son plein potentiel gustatif. De plus, les portions sont particulièrement bien pensées pour que les convives soient rassasiés sans être lestés. Une rareté qui s'apprécie.
Bon à savoir ?
Le chef est également à la tête de la table de campagne « Octave », qui jouxte le gastronomique, le long du verger, pour combler les petits budgets comme les plus viandards... Quant à ceux qui ont des vapeurs à l'idée de franchir le périphérique (on les plaint), ils pourront avoir un avant-goût de la cuisine du chef en plein Paris, rue de Paradis, chez « Sapid », tout juste embelli et encore plus emballant qu'auparavant.
Les prix ?
- Menu déjeuner : 95 €
- Menu 5 Chemins : 145 €
- Menu 7 Chemins : 195 €
Notre avis en un clin d’œil
Les Chemins qu'invite à emprunter Romain Meder dans ce nouvel environnement champêtre sont effectivement multiples, végétaux, exploratoires et hors normes ; mais comme le chef sait où il va, on se laisse porter avec joie. En un mot, on attend avec impatience qu'il aille encore plus loin et de cheminer à ses côtés lors de la prochaine balade qu'il nous proposera.
Note de la rédaction : 9,5/10
* La note reflète l'intégralité de l'expérience (assiette, cadre, atmosphère, service, rapport qualité-prix...) et est relative au positionnement de l'établissement (un excellent bistrot peut se voir attribuer la note de 10/10). Les tables recueillant des notes égales ou inférieures à 5/10 ne font pas l'objet de chroniques.