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David UkaleqDavid Ukaleq, Le jeudi 02 juin 2022
Grand angle

Découverte du glacier d'Aletsch du plus près au plus loin, en crampons et en parapente

Découverte du fascinant glacier d'Aletsch en Suisse, le plus grand glacier des Alpes.
  • L'élégante courbe du glacier d'Aletsch, le plus grand glacier des Alpes © DB|YONDER.fr
    L'élégante courbe du glacier d'Aletsch, le plus grand glacier des Alpes © DB|YONDER.fr
  • Le dessous du glacier révèle l'incroyable palette de couleurs que peut prendre la glace © DB|YONDER.fr
    Le dessous du glacier révèle l'incroyable palette de couleurs que peut prendre la glace © DB|YONDER.fr
  • C'est dans les zones marginales du glacier que sa surface irrégulière et percée de crevasses est la plus spectaculaire © DB|YONDER.fr
    C'est dans les zones marginales du glacier que sa surface irrégulière et percée de crevasses est la plus spectaculaire © DB|YONDER.fr
  • Une cordée de jeunes visiteurs sur le glacier. @ DB|YONDER.fr
    Une cordée de jeunes visiteurs sur le glacier. @ DB|YONDER.fr
  • Les crêtes de Fusshörner (arrière-plan) et du Geissgrat (milieu) lors de notre vol en parapente. © DB|YONDER.fr
    Les crêtes de Fusshörner (arrière-plan) et du Geissgrat (milieu) lors de notre vol en parapente. © DB|YONDER.fr
  • La partie terminale du glacier. La limite entre la roche dénudée et la végétation, appelée <i>trimline</i>, témoigne de l'étendue passée du glacier. @ DB|YONDER.fr
    La partie terminale du glacier. La limite entre la roche dénudée et la végétation, appelée trimline, témoigne de l'étendue passée du glacier. @ DB|YONDER.fr

 

 

On dirait une mer déchaînée dont les vagues ont été soudainement figées par un invraisemblable refroidissement.

Le glacier d'Aletsch est le plus grand des Alpes, tout en étant à la fois l'un des plus impressionnants et des plus accessibles. Pourtant, si tout le monde en France a entendu parler de la Mer de Glace, il reste relativement méconnu de ce côté-ci des Alpes. Comme elle, il fond à grande vitesse, de sorte que des visites espacées de seulement quelques années révèlent à chaque fois un glacier différent. Les plus jeunes d'entre nous, qui peuvent espérer voir la fin du siècle, verront aussi, presque certainement, son lit rocheux entièrement dépourvu de glace. Une sombre perspective qui devrait nous inciter à agir au plus vite.

Pour l'instant cependant, le site du glacier d'Aletsch est encore somptueux, à notre avis un des endroits les plus fascinants en Europe continentale. Et, la Suisse étant reliée par un réseau ferroviaire à la réputation proverbiale, on peut aller le découvrir dans le cadre d'un voyage à basse intensité carbone. Plusieurs points de vue, facilement accessibles par téléphérique ou télécabine, et de nombreux sentiers de randonnées permettent d'admirer le glacier. Nous avons choisi dans cet article de nous concentrer sur deux activités permettant de le voir de très près, en allant marcher directement dessus, ou depuis les airs, lors d'un vol tandem en parapente. 


SOMMAIRE

I. Randonner sur le glacier en crampons
1.
Le Märjelensee, relique d'un impressionnant lac glaciaire
2.
Trimline et moraines, témoins des glaciations passées
3.
Guides de père en fils
II.
Le glacier depuis les airs
1.
Décoller comme un oiseau
2.
Les moraines médianes, spectaculaire rappel du mouvement du glacier
3.
La surface du glacier : un tableau abstrait
4.
Le parapente, nec plus ultra du vol touristique ?
5.
Soirée à Platta

 

 

I. Randonner sur le glacier en crampons

     
    Arrivé la veille à Fiescheralp (2200 mètres d'altitude), petite station de sports d'hiver située juste au-dessus de Fiesch, je n'ai pas encore aperçu le glacier. Un des meilleurs points de vue se trouve pourtant moins de 800 mètres au-dessus, soit à quelques minutes de téléphérique, sur l'Eggishorn. Mais il a fait un temps catastrophique empêchant de voir quoi que ce soit ; en fait il est tombé une quantité de pluie record sur toute la Suisse.
     
    Heureusement la météo s'annonce nettement plus clémente ce matin. Quand j'aperçois Herbert Volken à l'entrée de mon hôtel, je sais immédiatement que c'est mon guide. Il a non seulement une tenue flambant neuve - il m'expliquera que les guides doivent la renouveler chaque année - mais des traits qui trahissent des années passées en haute montagne, et autant d'histoires à raconter. Le prochain téléphérique partant dans près d'une demie-heure, il me propose de prendre un café, qui sera l'occasion de jeter un œil à la carte et de discuter de l'itinéraire.
     
    Le programme original prévoyait de monter à l'Eggishorn puis de redescendre à pied vers le glacier avant de chausser les crampons. Toutefois, m'avertit-il, la visibilité est encore mauvaise à cette heure et le chemin est encombré de neige fraîche. Mieux vaut concentrer nos efforts sur le glacier et emprunter un chemin un plus bas, qui peut être encore raccourci en gagnant le versant nord de la montagne par un tunnel. Nous nous mettons donc en route sans attendre le téléphérique. Un 4x4 nous double : c'est celui du personnel qui maintient la Gletscherstube, à la fois café et refuge situé juste de l'autre côté du tunnel du Talligrat. Mais pas question pour nous de faire la route en voiture, l'accès est strictement réglementé et même les guides doivent faire le chemin à pied !
     
    • Une anfractuosité située sur le côté du glacier révèle de manière spectaculaire les aspects multiples que peut prendre la glace : blanche, transparente ou bleutée, selon la présence de bulles d'air et l'agencement des cristaux © DB|YONDER.fr
    • Une anfractuosité située sur le côté du glacier révèle de manière spectaculaire les aspects multiples que peut prendre la glace : blanche, transparente ou bleutée, selon la présence de bulles d'air et l'agencement des cristaux © DB|YONDER.fr

     

    Le Märjelensee, relique d'un impressionnant lac glaciaire 

     

    Le tunnel, à la fois étroit, sombre et très humide me rappelle certains des tunnels féroïens. Datant des années 80, son existence est, comme on va le voir, directement liée à la présence du petit lac situé juste au-dessus de la Gletscherstube. Pendant que nous descendons la vallée en direction du glacier, Herbert m'explique qu'au XIXe siècle celle-ci était en grande partie occupée par les eaux du Märjelensee, lac retenu par le glacier qui formait un barrage naturel. 

    On pouvait même, me dit-il, approcher le bord du glacier en bateau. Mais même si le lac avait un intérêt touristique, il était surtout un danger pour les locaux. Car il arrivait que, selon la configuration du glacier à cet endroit, il se vide soudainement — et presque entièrement — en s'engouffrant dans des crevasses. Ce gigantesque volume d'eau s'écoulait alors en suivant le cours du glacier et allait brutalement gonfler la Massa, la rivière alimentée par ce dernier, provoquant des inondations catastrophiques dans la vallée, à la hauteur du village de Naters.

     
    • Vue du Märjelensee entre 1890 et 1900. Extrait de <i> Views of Switzerland in the Photochrom</i>, publié par Detroit Publishing Company, 1905.  Source :  <a href=http://loc.gov/pictures/resource/ppmsc.07872/  target=_blank> <u> Library of Congress </u>  </a>
    • Le Märjelensee à la fin du XIXe siècle ou au début du XXe. Collection de Herbert Volken. Reproduction interdite.
    • Le Märjelensee à la fin du XIXe siècle ou au début du XXe. Collection de Herbert Volken. Reproduction interdite.
    • Le Märjelensee sur une image datée de 1888. Collection de Herbert Volken. Reproduction interdite.

    Un petit coin de Groenland au coeur de la Suisse : c'est ainsi qu'on pourrait caractériser le paysage qui apparait sur ces photos historiques. Et c'est ainsi qu'on le décrivait encore en 1914 dans la revue Die Alpen.

     

    Tout au long du XXe siècle, le lac perd de son importance en même temps que diminue l'épaisseur du glacier. Déjà en 1914 un article paru dans la revue Die Alpen du Schweizer Alpen-Club note que depuis quelques années on aperçoit en général non pas un lac mais deux, car le niveau du lac glaciaire, ou Hintersee, étant plus bas, il laisse apparaître un plus petit lac situé dans une dépression en hauteur, le Vordersee. De nos jours, il ne subsiste du premier qu'un très modeste lac occupant à peine 1% de la surface de jadis, [qui souvent s'assèche avant de se reformer l'été suivant]. Quant au Vordersee, son niveau est régulé par un barrage construit dans les années 80 afin d'alimenter en eau le village de Bettmeralp. C'est pour les travaux de construction que fut construit le tunnel du Talligrat, ainsi que la barraque de chantier devenue, pour le bonheur des randonneurs, la Gletscherstube.

    Parvenus au bord du glacier, Herbert me montre une anfractuosité où on aperçoit le dessous de la glace. Contrairement à la glace « sale » située au-dessus, celle-ci est par endroit transparente et se teinte de reflets bleutés. En plein soleil, la glace fond à vive allure et l'eau ruisselle en continu avant de tomber sur la roche en formant un panache étincelant.

    En quelques minutes de marche, un univers différent

    Puis nous enfilons baudriers et crampons, et montons sur le glacier. Il est impératif d'être encordé, explique Herbert, car les crevasses sont partout. Et même si à cette saison la plupart de la neige a fondu, laissant seulement quelques plaques facilement identifiables, un faux pas ou un moment d'inattention peut s'avérer fatal en l'absence de sécurité. Pourtant, on croise des touristes qui n'ont pas pris cette précaution, ou qui commettent une autre imprudence : ils se promènent les jambes à l'air, risquant bêtement des coupures lors d'une chute banale. 

    L'occasion pour Herbert d'enchaîner sur un sujet aussi fascinant que morbide : celui des alpinistes engloutis par les glaciers, dont les corps sont rejetés parfois plusieurs décennies plus tard. La conversation est interrompue quand Herbert s'arrête pour échanger quelques mots avec les guides qui accompagnent une cordée d'adolescents belges. C'est apparemment une tradition dans le plat pays d'envoyer les écoliers respirer l'air des montagnes suisses.

    • Les zones marginales du glacier sont les plus accidentés: crevasse ouvertes ou refermees, ligne de faille, etc. Mais il est aussi probable que la surface du glacier reflète aussi la topographie du terrain sous-jacent, l’épaisseur de la glace étant moindre sur les bords. @DB
      Les zones marginales du glacier sont les plus accidentés: crevasse ouvertes ou refermées, ligne de faille, etc.
      Mais il est probable que la surface du glacier reflète aussi la topographie du terrain sous-jacent, l’épaisseur de la glace étant moindre sur les bords. @ DB|YONDER.fr
     

    La zone située au bord du glacier forme un paysage fascinant : une myriade de creux et de bosses percée d'une quantité de crevasses. On dirait une mer déchaînée dont les vagues ont été soudainement figées par un invraisemblable refroidissement. Bientôt, on ne voit plus que la glace. Le chemin verdoyant qui nous y a conduit a disparu et semble appartenir à une autre réalité. L'impression est analogue à celle qu'on a en s'aventurant dans des dunes de sable, où il est facile de se perdre même à quelques centaines de mètres du bord. La différence est que les montagnes qui surplombent le glacier nous donnent ici un repère spatial clair. Sauf bien sûr si les caprices de la météo les rendent invisibles...

    C'est en admirant cette configuration géographique particulière, un jour de 1857, que l'anglais John Frederick Hardy la nomme Place de la Concorde of Nature.

    Trimline et moraines, témoins des glaciations passées 

    En parlant de montagnes, Herbert attire mon attention sur une zone grise et sans végétation qui court tout le long du glacier, de chaque côté. Elle est bien délimitée, et son aspect est très différent de celui de la roche située au-dessus. Sa limite supérieure, la trimline, indique la hauteur du glacier lors du dernier maximum glaciaire récent, aux alentours de 1850. L'aspect de la roche en dessous de la trimline est liée à l'action particulièrement abrasive de la glace. En se retirant le glacier a aussi laissé derrière lui les sédiments ainsi arrachés à la montagne. Ils forment le till glaciaire, qui a ici l'aspect de graviers gris. La combinaison du till et des autres débris, entre autres ceux tombés de la montagne, qui ont été charriés par le glacier le long de cette dernière, forme les moraines latérales. Elles sont bien visibles elles aussi mais leur limite est moins clairement définie.

    Plusieurs dizaines de mètres au-dessus du niveau actuel du glacier, la trimline laisse imaginer les dimensions prodigieuses atteintes par ce fleuve de glace à la fin du petit âge glaciaire. Attention cependant à ne pas confondre cette période de refroidissement du climat, qui a démarré vers le XIVe siècle pour s'achever au XIXe, avec les « vrais » âges glaciaires dont le dernier maximum remonte, lui, à quelque 24,000 ans. À l'époque, la température est une quinzaine de degrés en dessous de sa moyenne actuelle et la glaciation d'une tout autre ampleur. C'est quasiment tout le paysage environnant qui était sous la glace, seuls les pics au-dessus de 2600 à 2900m émergeant en formant des nunataks, un mot employé aujourd'hui dans le contexte des grands inlandsis comme celui du Groenland. On parle alors de champ de glace (en anglais icefield) plutôt que de glacier. Il n'empêche, le niveau atteint par le glacier au XIXe siècle n'a jamais été surpassé pendant les 10 à 12,000 dernières années !

     

    Au loin, une place de la Concorde alpine

    Mais revenons au présent. En s'éloignant des marges du glacier, la glace devient beaucoup plus plane et régulière. Nous faisons une pause à proximité d'une des moraines médianes, une autre structure dont je comprendrai mieux l'origine en voyant le glacier de haut. Pendant que Herbert mange son sandwich, je fais voler mon drone pour gagner un meilleur point de vue en direction des montagnes d'où s'écoule la glace. Sur la droite, on aperçoit l'extrémité d'un premier glacier, le Ewigschneefeld (littéralement le « champ des neiges éternelles ») qui vient rejoindre le glacier d'Aletsch ; presque directement dans le prolongement de ce dernier, à gauche, c'est le Jungfraufirn.

    Entre les deux, derrière, deux sommets se distinguent clairement, le Trugberg (3 933 m) et le Mönch (4 107 m). L'espace relativement plat situé devant est la Place de la Concorde, m'explique Herbert en français. En fait, un troisième glacier, pas visible d'ici, le Grosser Aletschfirn, rejoint aussi les deux autres à cet endroit. C'est en admirant cette configuration géographique particulière, un jour de 1857, que l'anglais John Frederick Hardy la nomme Place de la Concorde of Nature. Le nom fut alors repris pour différents sites glaciaires à travers le monde et germanisé ici en Konkordiaplatz.

    Je me souviens alors de ma visite en hiver, quelques années plus tôt, du Jungfraujoch, situé sur l'arête entre le Mönch et la célèbre Jungfrau (4 158 m). Le toit de l'Europe, ainsi qu'il est « marketé », est accessible en train à crémaillère, via un tunnel creusé à l'intérieur de la montagne jusqu'à une gare située à 3454 m, la plus haute d'Europe. Un ascenseur permet alors de gagner la plateforme d'observation, le Sphinx, d'où l'on surplombe le Jungfraufirn et ... Konkordiaplatz. Visité par plus d'un million de personnes chaque année, le site est en fait un des plus populaires des Alpes. Il est particulièrement prisé des touristes asiatiques et notamment des Indiens, qui l'ont souvent vu dans les productions de Bollywood. Curieusement donc, la partie haute du glacier est mondialement célèbre tandis que la partie située en aval de Konkordiaplatz, quoique tout aussi spectaculaire, est beaucoup moins visitée. Toujours est-il que, fasciné par cette immensité blanche, et intrigué par ce qui se trouvait au-delà du virage qu'elle faisait au loin à droite, je m'étais demandé s'il était possible de s'y aventurer à pied. 

     

    Panorama sphérique au-dessus du glacier. © DB|YONDER.fr

    Herbert me donne aujourd'hui la réponse. Oui, il est possible de partir du Jungfraujoch, et de descendre jusqu'ici. La randonnée prend deux jours et nécessite de passer la nuit à la Konkordiahütte, refuge historique situé sur une falaise au-dessus de Konkordiaplatz. On y accède aujourd'hui par un escalier en métal. Mais chaque année, on doit ajouter des marches, explique Herbert. Quand le Club Alpin Suisse (ou en VO le Schweizer Alpen-Club) décida de construire un refuse en 1877 le site était seulement une cinquantaine de mètres au-dessus du glacier. La différence d'altitude atteint maintenant 150 mètres environ ! 

    Nous ne tardons pas à nous remettre en chemin, car avant de retourner sur la terre ferme, je voudrais faire plus de photos sur la zone accidentée du glacier, qui est visuellement la plus spectaculaire. Un « bonus » par rapport à la randonnée typique proposée aux groupes, ce qui est d'ailleurs une bonne raison d'opter pour un tour privé (le tarif est évidemment élevé mais pas déraisonnable pour une famille ou un groupe d'amis assez nombreux). 

    Alors qu'il s'était arrêté pour une pause, il remarque quelque chose dans la neige et comprend vite qu'il s'agit de restes humains.
    Le glacier d'Aletsch sur Swiss Topo.

    En 2012, épilogue à la disparition de trois alpinistes après plus de 80 ans

    Pendant que nous marchons, mon regard se porte sur un objet métallique à la surface de la glace. Je le montre à Herbert : il s'agit d'une munition non explosée. Les avions de l'armée suisse s'entraînent fréquemment au-dessus du glacier, explique-t-il. Même sanctuarisé par le classement UNESCO, celui-ci n'est visiblement pas complètement à l'abri des intrusions de la civilisation. Il me parle alors de la découverte beaucoup moins banale, faite en 2012 par un touriste anglais. Celui-ci se trouvait à peu près à mi-chemin entre notre point de départ, dans la vallée de Märjelen, et Konkordiaplatz, mais du côté ouest du glacier, alors que l'itinéraire classique suivi par les randonneurs se trouve plus à l'est. Alors qu'il s'était arrêté pour une pause, il remarque quelque chose dans la neige et comprend vite qu'il s'agit de restes humains.

    Ce sont au total trois squelettes qui sont retrouvés, plus des effets personnels. Le rapprochement est fait avec la disparition tragique, en mars 1926, de trois frères, les frères Ebener, et de leur guide, dont on avait perdu toute trace. Une analyse génétique confirmera cette hypothèse mais il reste une énigme. Le lieu de la découverte est très éloigné de la zone présumée de leur disparition et on ignore toujours où et comment ils ont disparu. En effet, les frères étaient partis de la Hollandiahütte, un refuge situé à la hauteur du col de Lötschenlücke, à l'extrémité ouest du Grosser Aletschfirn, avec l'intention de rejoindre Konkordiaplatz. La distance à parcourir était d'un peu plus de 6 km. Mais dans l'après-midi, la météo allait changer et les relevés historiques documentent des chutes de neige importantes pendant les trois jours suivants.

    Le jeune glaciologue Guillaume Jouvet, de l'Université Zurich, s'empare de la question. Il avait travaillé à la modélisation du glacier d'Aletsch, dans le but de prédire son évolution future dans le contexte de réchauffement actuel. Il va cette fois utiliser son modèle pour remonter le temps. Où se trouvait en 1926 la glace à la surface de laquelle on a retrouvé les restes des frères Ebener en 2012 ? Le modèle indique une zone située nettement plus au nord que l'itinéraire qu'auraient dû suivre les frères pour aller à Konkordiaplatz. Guilaume Jouvet et son collègue Martin Funk en concluent que l'hypothèse la plus probable est que les frères, désorientés dans la tempête, se soient perdus avant de mourir de froid et d'être recouverts par la neige. Le guide, lui, n'a pas été retrouvé et on peut supposer qu'il s'était détaché du groupe et a disparu ailleurs.

    Ce qui surprendra peut-être le plus le profane est que, d'après le modèle, les corps ont parcouru au total plus de 10 km et ont été enfouis à une profondeur maximum de 250 m avant de revenir à la surface. Un phénomène qui s'explique par le fait que la glace qui se forme dans la zone haute du glacier, où s'accumule la neige, commence par s'enfoncer avant de progresser vers la zone dite d'ablation, située en aval, où elle se trouve exposée à la surface après que toute celle située au-dessus a fondu (voir la section : pour aller plus loin).

    Guides de père en fils

    En chemin, Herbert me montre des pierres dont la teinte rouge est liée à la présence de fer, me suggère de photographier telle ou telle crevasse, me montre des plaques de neige qui en recouvrent les bords. Malgré les décennies passées à arpenter le glacier et le reste des Alpes, Herbert n'est pas blasé pour un sou. Quand je le recontacte par téléphone avant d'écrire cet article, il s'émerveille des couleurs d'automne et de la pureté de la lumière.

    Toute l'histoire de sa famille est liée à la montagne. Il a, dit-il, une photo de lui à 3 ans sur le glacier, en 1952, avec son père et son grand-père, tous les deux guides de hautes montagnes. Tous ses frères sont, ou étaient, guides. Son frère Kilian, de 3 ans son cadet, est un alpiniste de haut niveau qui s'est aventuré bien au-delà de la Suisse. « Il a fait tous les 8000 », m'explique Herbert. C'est pourtant dans les Alpes qu'il a frôlé la mort en 2012 quand une avalanche au Mont Maudit, l'une des voies d'accès au mont Blanc, a coûté la vie à neuf personnes et blessé de nombreuses autres. « Il y a toujours eu des accidents » commente Herbert. C'est vrai mais la fréquence de ces accidents a nettement augmenté en raison du réchauffement. La hausse des températures favorise la chute de séracs (blocs de glace) mais aussi de pierres, la montagne se trouvant fragilisée par la fonte du pergélisol (permafrost). Des chutes qui peuvent à leur tour déclencher des avalanches meurtrières comme celle de 2012... Le plus dur pour son frère, explique Herbert, a été de surmonter le traumatisme psychologique. Est-il encore guide ? « Oui, dit-il, il fait toujours des treks au Népal. Et d'ailleurs, tu l'as vu, c'était un des guides qui accompagnaient les écoliers belges ! ».

     

     

    II. Le glacier depuis les airs

     

    Le lendemain midi, j'ai rendez-vous avec Raoul Geiger, de la compagnie Airvolution, pour un vol tandem en parapente. Nous nous retrouvons à Mörel, en bas de la station de télécabine qui grimpe à Riederalp, d'où nous devons décoller. En fait, au lieu de redescendre dans la vallée, j'aurais pu faire le chemin à pied, de Fiescheralp à Riederalp en passant par Bettmeralp. C'est un des atouts touristiques incontestables des environs du glacier : la chaîne de montagne qui forme le côté sud de la vallée où il s'écoule est un vrai paradis de la marche et de la randonnée. Il est facile d'aller d'un village à l'autre mais le plus spectaculaire, car c'est de là qu'on voit le géant de glace, est bien sûr le chemin panoramique (Panoramaweg) qui circule sur la crête, et les sentiers qui se trouvent un peu en contrebas, sur le versant nord. 

    D'Air-Glaciers à Airvolution : la passion du vol dans les gènes

    Comme Herbert, mais de quelques décennies son cadet, Raoul Geiger est un enfant du pays, dont l'histoire de la famille est intimement liée à celle du glacier. Son grand-père, Hermann Geiger, a été un pionnier du sauvetage aérien en montagne. Passionné d'aviation, il ravitaille déjà des refuges depuis les airs quand en 1952 il fait atterrir sur le glacier un avion qu'il a équipé de skis. Comprenant le potentiel de l'avion pour effectuer des missions de sauvetages, il affine sa technique pour atterrir dans les endroits les plus inhospitaliers. Les centaines de missions qu'il accomplit les années suivantes lui valent le surnom de Saint-Bernard du ciel ou encore d'aigle de Sion, ville dont il est originaire. 

    Puis, en 1965, Hermann Geiger co-fonde la société Air-Glaciers qui poursuit l'activité de sauvetage avec des hélicoptères. Ironie cruelle, il trouve la mort peu après, non pas au cours d'une mission héroïque mais dans une collision entre son planeur et un autre avion, à l'aéroport de Sion. Air-glaciers, elle, continuera jusqu'à nos jours : 65,000 missions plus tard, c'est la deuxième compagnie d'hélicoptères en Suisse. À l'évidence Hermann Geiger a également transmis la passion de voler à sa descendance, mais aux hélicoptères, Raoul a préféré le vol discret du parapente.

    Quand on n'a jamais décollé que dans le vrombissement d'un avion ou d'un hélicoptère, ce passage parfaitement silencieux et à peine perceptible de la terre à l'air a quelque chose de miraculeux.

    Décoller comme un oiseau

    Je n'ai jamais, quant à moi, volé en parapente et, tout en nous attachant, Raoul m'explique que si je ne me sens pas bien on peut atterrir plus rapidement que prévu, remarque à laquelle je prête peu d'attention. « Au signal tu commences à marcher, je m'occupe du reste ». Et en quelques secondes, nous voilà propulsés dans les airs. Quand on n'a jamais décollé que dans le vrombissement d'un avion ou d'un hélicoptère, ce passage parfaitement silencieux et à peine perceptible de la terre à l'air a quelque chose de miraculeux. Après une ou deux boucles Raoul me demande si ça va et nous continuons.

    Nous nous orientons brièvement vers l'ouest et apercevons Brig avant de revenir dans la direction de Riederalp, qu'on domine maintenant nettement. Le glacier apparait au fond mais il nous faut gagner encore un peu d'altitude pour passer au-dessus de la crête. En dessous de nous, la station supérieure du télésiège de Hohfluh, un des quatre points de vue qui jalonnent le Panoramaweg. À l'arrière-plan s'étend la majestueuse courbe du glacier, maintenant bien visible. 

    Juste devant nous se trouve le front glaciaire qui, en comparaison, paraît modeste. Le décalage entre sa position actuelle et la trimline est ici particulièrement saisissant. Autre fait notable, la partie terminale est entièrement recouverte de sédiments grisâtres si bien que, hors contexte, un observateur ordinaire n'y discernerait pas forcément de la glace ! 

     

    • Au premier plan la partie terminale du glacier, en grande partie recouverte de sédiments. La position de la trimline montre les dimensions vertigineuses atteintes par le glacier au milieu du 19e siècle, et le recul tout aussi spectaculaire qui a suivi © DB
      Au premier plan la partie terminale du glacier, en grande partie recouverte de sédiments. La position de la trimline montre les dimensions vertigineuses atteintes par le glacier au milieu du 19e siècle, et le recul tout aussi spectaculaire qui a suivi © DB|YONDER.fr

     

    Les moraines médianes, spectaculaire rappel du mouvement du glacier

    Notre voyage se poursuit quasiment à la verticale du Panoramaweg, ce qui permet d'apercevoir à la fois le versant sud, où s'alignent les maisons de Bettmeralp, la station de télécabines sur la crête avec, au-dessus, le sommet du Bettmerhorn et bien sûr le glacier sur notre gauche. Depuis les airs, on comprend immédiatement pourquoi on parle volontiers de rivière de glace. Les lignes à la surface du glacier permettent d'en visualiser la dynamique, comme celles que le dessinateur ajoute à un personnage ou un objet pour en suggérer le mouvement. 

    Mais que sont-elles exactement ? Il y a d'abord les deux moraines médianes, qui forment les traces foncées les plus importantes. Quand deux glaciers convergent, leurs moraines latérales, celles qui se trouvent de part et d'autre de la montagne séparant les deux glaciers, se rejoignent au niveau de l'angle formé par les deux côtés. Dans le cas du glacier d'Alestch, les trois glaciers principaux qui se rencontrent à Konkordiaplatz donnent naissance à deux moraines médianes. Comme pour les moraines latérales dont elles sont issues, les débris qu'on observe en surface n'en forment que la partie supérieure. Si on ne craignait de semer la confusion, on serait tenté de dire que c'est la partie émergée de l'iceberg ! Il faut donc s'imaginer toute une couche verticale de débris, ou plus savamment un septum, qui suit tout le parcours du glacier. De manière intéressante, la glace des affluents ne se mélange pas, de sorte que selon qu'on se trouve d'un côté ou de l'autre d'une moraine médiane, on sait de quel glacier elle provient.

    • Pendant quelques instants, Konkordiaplatz et les sommets alentour disparaissent derrière des nuages bas qui ne font qu’ajouter au mystère des lieux. © DB
      Pendant quelques instants, Konkordiaplatz et les sommets alentour disparaissent derrière des nuages bas qui ne font qu’ajouter au mystère des lieux. © DB

     

    On observe aussi de nombreuses autres courbes similaires, aux tracés parallèles, de largeurs plus ou moins grandes. Certaines peuvent avoir la même origine : les trois glaciers qui convergent à Konkordia ont eux-mêmes des glaciers affluents générant des moraines médianes. Mais des débris peuvent aussi émerger de manière apparemment spontanée. Arrachés au lit du glacier, ils se retrouvent poussés par la glace qui rejoint la surface (voir encadré) où ils continuent leur course en striant la surface. 

    La surface du glacier : un tableau abstrait pour le voyageur, un livre à déchiffrer pour le glaciologue

    La vue est simplement fantastique. Les nuages jouent à cache-cache avec le soleil, projetant sur le glacier des ombres qu'on n'est pas toujours sûrs de savoir distinguer des zones noircies par les débris. Par endroits, le glacier forme une surface craquelée fascinante à observer, dont le graphisme est encore accentué par le jeu de la lumière. C'est qu'aux moraines qu'on vient d'évoquer, il se superpose une quantité de crevasses et d'autres structures. Là où le profane admire l'abstraction de ce réseau de lignes complexe, dont les motifs et la chromie rappellent un tableau d'Anselm Kiefer, le glaciologue sait interpréter l'histoire des mouvements de la glace. 

    La « glaciologie structurelle », comme l'appelle les spécialistes, est un sujet compliqué. Il est pourtant facile de comprendre l'origine de certaines crevasses. Quand la glace accélère, par exemple dans une zone plus pentue, elle est soumise à une extension. En profondeur, là où la pression est plus élevée, elle répond à ces contraintes en se déformant. Plus proche de la surface, en revanche, elle se comporte davantage comme un solide rigide, et craque. La profondeur des crevasses, de quelques dizaines de mètres au plus, reste pourtant modeste par rapport à l'épaisseur d'un glacier comme celui d'Aletsch, qui se mesure en centaines de mètres ! 

    • La surface du glacier : une abstraction fascinante et un brin austère pour le profane, un livre à déchiffrer pour le glaciologue. © DB
      La surface du glacier : une abstraction fascinante et un brin austère pour le profane, un livre à déchiffrer pour le glaciologue. © DB|YONDER.fr

     

    De manière générale, partout où la glace est soumise à des contraintes importantes, peuvent se former des crevasses, aux formes plus ou moins spécifiques : par exemple, celles qui se forment sur les bords, sous l'effet des contraintes de cisaillement, ont des angles à 45 degrés. Mais souvent, plusieurs types de contraintes se combinent, de sorte qu'il en résulte des formes plus complexes à interpréter. Une autre structure remarquable est celle causée par la stratification primaire, qui est à un glacier ce que les anneaux de croissance sont à un arbre. Le cycle des saisons a une influence directe sur l'aspect de la glace. Celle qui s'est formée en hiver compte de nombreuses bulles d'air qui la rendent blanche, tandis que la glace d'été, dont les pores ont été bouchés par de l'eau recongelée, est transparente. Cette alternance se traduit par des couches individuelles correspondant aux années successives. Ces couches étant empilées les unes sur les autres, le phénomène reste invisible à l'origine mais, par le jeu de la déformation subie par la glace, se trouve plus tard exposé à certains endroits de la surface.

    • Dans la zone indiquée, la stratification primaire, ou alternance des couches de glace d'hiver et d'été, claires et sombres, est visible en surface. @ DB|YONDER.fr
    • Dans la zone indiquée, la stratification primaire, ou alternance des couches de glace d'hiver et d'été, claires et sombres, est visible en surface. @ DB|YONDER.fr

     

    Zéro-émissions, pas de vitre, vue à 180° (le pilote est derrière !) et bien sûr nettement moins cher qu'un avion ou, cela va sans dire, un hélicoptère.

    Le parapente, nec plus ultra du vol touristique ?

    Alors le parapente est-il l'alternative idéale aux engins à moteur pour admirer le paysage depuis le ciel ? Zéro émission, pas de vitre, vue à 180° (le pilote est derrière !) et bien sûr nettement moins cher qu'un avion ou, cela va sans dire, un hélicoptère. Pas de problème non plus pour trouver des co-passagers si l'on est seul(e) ! Pas de doute que le parapente a de nombreux avantages, et il est presque étonnant qu'on l'associe surtout à une pratique sportive et beaucoup moins aux vols touristiques, qui viennent spontanément à l'esprit quand on évoque par exemple la montgolfière.

    Il faut bien sûr nuancer. Au risque d'enfoncer des portes ouvertes, il est tributaire des vents et ne peut donc aller partout et tout le temps. Un inconvénient moins connu, mais de taille pour celles et ceux qui y sont sensibles, est le mal de l'air ! Une éventualité dont je ne m'étais pas préoccupé avant mon vol et qui est essentiellement liée à la technique utilisée pour gagner de l'altitude. Une première possibilité est le vol dynamique, qui consiste à se faire porter par des courants ascendants, créés par exemple par des obstacles que le vent doit contourner par le haut. Il s'agit en général d'un vol doux et sans problème. 

     

    La deuxième, qui est mise en œuvre dans un vol comme le nôtre, est celle du vol thermique. Quand le soleil chauffe le terrain survolé, certaines zones ont une température plus élevée et réchauffent à leur tour l'air situé au-dessus. Il en résulte des « bulles thermiques », c'est-à-dire de l'air chaud qui monte à la verticale, selon le principe bien connu que l'air chaud a une densité moindre. L'art du pilote est alors, dans le jargon du parapentiste, de « trouver les thermiques ». Pour cela il est aidé du variomètre, un instrument qui émet un bip dont la fréquence est liée à la vitesse verticale. Le problème est que ces zones forment des colonnes de diamètre relativement étroit et que, pour grimper, il faut rester au plus près du centre. Du coup, le pilote doit effectuer un mouvement de rotation quasiment continu, et c'est là que d'éventuels problèmes surviennent pour l'estomac...

    Raoul estime la proportion des passagers qui sont sensibles au mal de l'air à environ 10%. Sa recommandation pour les personnes qui ne sont pas sûres de savoir si elles en font partie : commencer par un vol pas trop long, d'environ une demie-heure, qui permet de se tester. Quant à moi, je découvre que je fais hélas partie des infortunés 10%. Raoul me propose d'atterrir. La vue dépassant toutes mes attentes, je préfère continuer en dépit de ce désagrément.

    Nous arrivons bientôt au-dessus de l'Eggishorn. C'est le plus haut sommet de ce côté du glacier et celui qui offre la vue la plus célèbre. Nous distinguons les touristes qui arrivent en téléphérique et le chemin qui mène au sommet. A l'arrière plan, c'est le Mittelaletschgletscher, un glacier qui était connecté au glacier d'Aletsch jusqu'en 1970 mais dont le front se trouve aujourd'hui plusieurs kilomètres en amont. Et juste après, dans la direction nord-est, nous passons au-dessus de la vallée de Märjelen où j'étais la veille avec Herbert. Il s'offre également à nous une vue remarquable sur le glacier de Fiesch.

    Il est temps de repartir dans l'autre sens, ce que nous faisons après avoir repris un peu d'altitude. A la hauteur du Bettmerhorn, le glacier commence à se rétrécir de manière très prononcée. Mais Raoul m'invite à regarder vers le haut : les crêtes déchiquetées de Geissgrat et des Fusshörner s'élancent respectivement vers le Geisshorn (3740 m) et le Grosses Fusshorn (3627 m), aujourd'hui dissimulées par les nuages. Entre les deux, le Driestgletscher, un glacier d'1.5 km de large.

    • Dans la courbe située entre le Bettmerhorn et Moosfluh, le glacier est nettement plus étroit. @ DB
      Dans la courbe située entre le Bettmerhorn et Moosfluh, le glacier est nettement plus étroit. @ DB|YONDER.fr

     

    Puis nous quittons cet impressionant paysage de haute montagne pour retrouver Belalp (2100 m) et ses pentes verdoyantes. Le village est resté associé à John Tyndall, physicien et alpiniste irlandais qui y passa plus de quarante étés. Tyndall a contribué de manière importante au domaine naissant de la glaciologie et, ironiquement, a même été le premier a prouver l'existence de l'effet de serre. Hôte fréquent de l'historique hôtel Belalp, où sa chambre a d'ailleurs été conservée en l'état, il finit par se faire construire une villa à proximité. La vue sur le glacier était évidemment très différente de ce qu'elle est aujourd'hui : à l'époque, et jusqu'au début du XXe siècle d'après les cartes historiques, le front glaciaire était situé au sud-est de l'hôtel de sorte que les hôtes pouvaient contempler la glace directement en contrebas. Cette partie de la vallée est aujourd'hui occupée par le lac du barrage de Gebidem (Gibidum em allemand), alimentée par les eaux de fontes du glacier, tandis que sa langue terminale a été repoussée à 4 km environ au nord-est. 

    Au-delà apparaît déjà Brig où nous devons nous poser. Pour celles et ceux qui sont au sol, la région située au-delà du barrage a encore bien des attraits. Les randonneurs peuvent y longer les gorges de la Massa, sculptées par la glace et l'eau de fonte au fil des millénaires, et les plus aventureux pourront même y faire du canyoning. Mais pour nous c'est bientôt l'approche finale. Quelques minutes plus tard nous atterissons dans un champ et, à ma grande surprise, l'atterrissage est à peine plus brusque que le décollage. 

    • Le village de Belalp, du côté nord du glacier, où le physicien et alpiniste irlandais John Tyndall, pionnier de la glaciologie, aimait à passer ses étés © David Belay
    • Le glacier de Fiesch est également l'un des plus longs des Alpes mais il est nettement plus étroit que le glacier d'Aletsch. Là encore, la position de la trimline montre le retrait très net du glacier dans sa partie inférieure
    • Au premier plan la station de téléphérique de l'Eggishorn ; à l'arrière-plan le Mittelaletschgletscher, glacier qui était connecté au glacier d'Aletsch jusqu'en 1970
    • Les crêtes de Geissgrat et, derrière, des Fusshörner, entre lesquelles on aperçoit le Driestgletscher. © DB
    Herbert m'expliquera que lorsqu'il était enfant et se rendait sur le glacier avec son père et son grand-père, le chemin de Platta était en fait la voie d'accès ordinaire au glacier ! 
    Le chemin de Platta en 3D sur Fatmap.

    Une soirée à Platta et une question : quel avenir pour le glacier ? 

    En quittant Herbert la veille, celui-ci m'avait conseillé, si je revenais dans la vallée de Märjelen, de me rendre au lieu-dit de Platta. C'est ce à quoi je décide de consacrer mon dernier soir, et, comme il est déjà tard, j'emprunte à nouveau le chemin qui passe par le tunnel du Tälligrat. Je ne croise que quelques randonneurs sur le retour. Le chemin de Platta part de la Gletscherstube et court, parallèlement à la vallée, le long de la montagne qui en forme le versant nord et culmine au sommet du Strahlhorn.

    Au lieu de descendre la vallée on gagne au contraire une vingtaine de mètres d'altitude de sorte que lorsqu'on arrive au petit plateau rocheux de Platta on surplombe le glacier... d'une centaine de mètres. Ironiquement, c'est la fonte du glacier qui a donné à Platta ce point de vue privilégié. Herbert m'expliquera que lorsqu'il était enfant et se rendait sur le glacier avec son père et son grand-père, le chemin de Platta était en fait la voie d'accès ordinaire au glacier ! Si le recul a été si marqué en 60 ans, avant même qu'on ne parle beaucoup du réchauffement des températures, qu'en sera-t-il dans les prochaines décennies ? 

    Panorama sphérique au-dessus du glacier, en soirée. En zoomant, il est possible de distinguer Platta et la silhouette de l'opérateur du drone. © DB|YONDER.fr

    Quand à mon retour je contacte Guillaume Jouvet, celui-ci attire mon attention sur des simulations qu'il a faites en 2019 avec son collègue Matthias Huss et dont nous reproduisons quatre ci-dessous (le lecteur en trouvera d'autres sur le site des auteurs).

    La première reconstitue l'évolution du glacier entre 1880 et 2000. Les suivantes simulent le retrait du glacier jusqu'en 2100 dans trois scénarios différents. Celui, entièrement hypothétique, d'une stabilisation des températures à leur niveau de 1998, celui d'une hausse de 2°C, et celui, catastrophique, d'une hausse comprise entre 4 et 8°C. De manière assez surprenante, même dans le premier scénario le glacier continue à reculer de manière très significative. C'est parce qu'un glacier de cette taille a en fait une grande inertie, et ne répond que lentement à la hausse de température inscrite au XXe siècle. Je laisse le lecteur regarder les scénarios suivants sans plus de commentaires : les images parlent d'elles-mêmes. 

    • Reconstituion de l'évolution du glacier entre 1880 et 2000 par Jouvet et Huss (2019).
    • Modélisation de l'évolution future du glacier dans le scénario d'une stabilisation des températures au niveau de 1998.
    • Modélisation de l'évolution future du glacier dans le scénario d'une hausse de 2 degrés.
    • Modélisation de l'évolution future du glacier dans le scénario d'une hausse de 4 à 8 degrés.

     

    Comment y aller ?

    En TGV Lyria jusqu'à Bâle ou Genève (environ 3h depuis Paris) puis jusqu'à Fiesch, toujours en train (3h-3h30)

    Autre solution, passer par Milan et remonter le lac de Côme (3h en voiture, 2h30 en train)

    Activités

    Randonnées

    Tours sur le glacier avec les guides d'Aletsch Arena, à partir de 90 CHF par personne.

     

    Parapente

    Vol en tandem avec Airvolution, à partir de 150 CHF.