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Florence Valencourt, Le vendredi 06 juin 2025
Chefs

Echange avec Giuliano Sperandio, le chef du Taillevent à Paris

Alors que le Taillevent revient sur toutes les lèvres comme étant la quintessence du restaurant français, classique et follement moderne à la fois, Yonder s'est entretenu avec son chef pour comprendre ce qui en faisait le succès.
  • Giuliano Sperandio, le chef du Taillevent © Arbès Food
    Giuliano Sperandio, le chef du Taillevent © Arbès Food

YONDER : Quel est votre état d'esprit du moment ? Comment abordez-vous ce nouveau printemps au Taillevent ?

Giuliano Sperandio : « Libre, complètement libre, avec moi-même, avec la maison et dans toute réflexion. Apaisé.

Qui dit printemps dit renouveau et produits de saison. Quel est celui que vous affectionnez en ce moment ou que vous avez envie de travailler ?

Ce qui est beau avec les saisons, c'est qu'elles ont un début et une fin et qu'à chaque saison, on redécouvre le produit parce qu'on l'a oublié pendant sept, huit ou neuf mois. On redécouvre le petit pois, on a redécouvert les asperges, mais on est déjà vers la fin et on a l'impression de ne pas avoir eu assez de temps pour aller plus loin.

Le printemps, c'est le vert, les herbes, les fleurs... Et chaque année, comme on est soi-même différent d'une saison ou même d'un jour à l'autre, on a une approche différente d'un même produit. Et c'est ce qui est le plus intéressant dans ce cycle. Redécouvrir avec une nouvelle émotion.

  • © PAM Studio
    © PAM Studio

 

En parlant de renouveau, on vient d'annoncer la nomination de Tiago Martins au poste de Directeur de salle. Qu'est-ce que son arrivée signifie pour vous ?

Comme je vous disais au début, moi je veux une maison libre. Or, c'est ce qui est le plus complexe dans une grande maison comme ici : évoluer dans la liberté. Cela n'a évidemment rien à voir avec l'anarchie, mais au contraire réussir à être libre dans un cadre. Tiago est en train de découvrir la maison et je lui laisse tout le temps et toute la place pour la comprendre avant de lui donner des objectifs.

Et quels sont ces objectifs ?

On verra ! En fait, pour vous répondre, ce sont toujours les mêmes tous les ans : bien travailler, être épanoui, faire toujours le mieux possible – pour le client mais surtout pour soi-même. Chercher à être heureux. Finalement, c'est ça ce que je demande à Tiago : que tout le monde soit heureux au Taillevent et pas seulement les clients.

  • © Arbès Food
  • © PAM Studio

 

Qu'en est-il du service ? Comptez-vous le faire évoluer encore avec lui ?

Franchement, le service est vraiment notre point fort. On a la chance énorme d'avoir des cadors qui sont dans la maison depuis vingt ans et qui savent mieux que quiconque faire le service. Mon objectif, c'est de consolider cette force et que Tiago mette du pep's et donne du lien humain, une osmose et une légèreté encore plus grande dans le service.

Et vous chef, comment comptez-vous évoluer pour cette 5ème saison à la tête des cuisines de la maison ?

Il y a toujours une très grande excitation. Je n'ai aucun calepin, aucune recette et je n'écris rien. Tout ce que je réalise aujourd'hui, je l'oublie demain. Donc, même si c'est la cinquième saison, je ne me souviens pas du tout de ce que j'ai fait avant. Je suis toujours frais ! Cette année, l'approche sera donc le fruit de cet état d'esprit et de ma sensibilité acquise ici en tant que chef et en tant qu'homme de 43 ans.

  • © Arbès Food
    © Arbès Food

 

Quid des clients, des propriétaires du grand restaurant, ils ne vous réclament pas le sacro-saint « plat signature » d'une grande maison ?

Non ! Je dis toujours que c'est possible, mais alors ce sera un plat « mort », sans énergie. C'est comme vouloir partir en vacances avec un copain avec qui on était parti en vacances il y a dix ans et vouloir vivre exactement la même expérience. On a évolué, on a grandi et pour moi les plats, c'est exactement la même chose. Je préfère garder le souvenir que de faire revivre quelque chose artificiellement.

  • © Fred Lahache
  • Soufflé © Arbès Food

 

Mais alors, le menu « Gestes » ne va-t-il pas à l'encontre de votre démarche par son côté patrimonial ? 

C'est un menu qui est devenu patrimonial, un symbole du Taillevent, qui restera sans doute après moi. J'ai eu la chance d'arriver au Taillevent en période de Covid et de pouvoir m'enfermer pendant deux mois ici. Je suis arrivé seul, sans brigade, sans « passation » et j'ai pu comprendre l'ADN de la maison via le service de salle et par moi-même, en m'asseyant et en essayant de sentir les énergies d'ici. Je me suis rendu compte que ce n'était pas une maison de chef, mais une maison de maître. En l'occurrence, celle de Monsieur Vrinat aux débuts, qui était lui-même un ancien serveur. Cela a été un déclic. L'ADN de la maison de demain, je me suis dit que ce serait le service en salle. Par ailleurs, j'ai toujours adoré les pièces entières, rôtir au four, la découpe et je voulais à tout prix intégrer ce service dans l'offre de mon Taillevent. Ceci dit, intégrer le geste dans un menu-carte était extrêmement complexe. De plus, je ne voulais plus d'un menu dégustation à rallonge ; 5 envois maximum.

  • Le flambage des crêtes Suzette © Arbès Food
    Le flambage des crêtes Suzette © Arbès Food

 

J'étais sous la douche, la veille de l'ouverture et je me rappelle m'être dit « Put... On va faire un menu qui s'appelle « Gestes » et dans ce menu on va incorporer ce que je veux, soit la découpe. Mais pas que. De l'amuse-bouche au dessert gastronomique, service à table. Pas uniquement les sauces et le pain, mais un menu où les serveurs peuvent montrer tout leur savoir-faire ». Je suis arrivé le matin même de l'ouverture et je l'ai annoncé à tout le monde. On m'a demandé ce qu'il y aurait dedans et j'ai répondu « on verra ». Tout ce que je savais, c'est que je voulais un homard flambé, un choix entre un poisson et une viande à rôtir. Premier soir, première commande : le menu Geste ! C'était gagné.

  • © PAM Studio
  • Pithiviers ris de veau © Arbès Food

 

Aujourd'hui, c'est devenu le menu phare de la maison. Beaucoup de monde, notamment des gens de la profession, vient chez Taillevent pour ça, « le service à la française », la majesté du geste. Cela fait partie du patrimoine français du service en salle que je veux mettre en avant. Sûrement, le fait que je sois Italien, étranger, a joué dans cette volonté. Cela ne fait même aucun doute. C'est comme cela que j'ai appris la cuisine, je l'ai codifiée dans l'imaginaire collectif des étrangers. Qu'est-ce qu'on attend d'un repas en France ? Le service en salle. Le savoir-faire, l'expertise des maîtres d'hôtel français est reconnue