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Alain Maurice, Le jeudi 08 juin 2023
Chefs

Entretien avec Sébastien Bras, chef inspiré par l’Aubrac

En gastronomie, il est des tables dont le seul nom fait rêver. Bras en fait partie. Fleurs, herbes aromatiques, graines et champignons constituent l’essence de la maison, une source d’inspiration inépuisable. C’est face aux monts de l’Aubrac, sur la terre de son enfance, que Sébastien nous reçoit.
  • Le Jardin de Lagardelle © Bras
    Le Jardin de Lagardelle © Bras
  • Bras © C. Palis et JP. Trébosc
    Bras © C. Palis et JP. Trébosc
  • Le Suquet © JL Bellurget
    Le Suquet © JL Bellurget
  • Véronique et Sébastien Bras © JL Bellurget
    Véronique et Sébastien Bras © JL Bellurget

YONDER : On évoque rarement Sébastien Bras sans Michel, votre père, alors que celui-ci n’est plus en cuisine depuis 2009. C’est difficile d’être « fils de… » ? Comment s’est passée la transmission ?

Ma chambre d'enfant était juste au-dessus de la cuisine du restaurant familial, celui de ma grand-mère Mémé Bras, au cœur du village de Laguiole. C’était mon terrain de jeu ! Si je suis là aujourd’hui, c’est grâce aux valeurs que l’on m’a inculquées. La transmission s'est ensuite faite naturellement, j'ai travaillé avec mon père pendant plus de vingt ans ! Au début, c’étaient les créations de Michel, ensuite une carte à 4 mains, et puis ce fut mon tour. Chacun y a mis du sien… Les clients l'ont vécu comme ça. Il n’a jamais été question de casser les codes, de tout renverser. Nous sommes une maison familiale, l’esprit est resté le même. Aujourd’hui, mon père et moi, nous déjeunons encore presque tous les jours ensemble et nous parlons souvent cuisine. Il part ensuite s’occuper du jardin ou faire du vélo. La transmission, c’est laisser exister l’autre pour ce qu’il est. 

  • Sébastien Bras © C. Bousquet
    Sébastien Bras © C. Bousquet

 

Qu’est-ce que votre père a apporté à la gastronomie française ?

Une vision très personnelle. C’est un pur autodidacte et il a longtemps été frustré de ne pas avoir fait ses classes chez les grands chefs de l’époque. Cela l’a amené à réfléchir très tôt, au début des années 1980, à une cuisine différente. Il y a quarante ans, utiliser des plantes, des fleurs, des herbes, des graines, on n’avait jamais vu ça ! On l’a regardé du coin de l’œil en disant c’est qui cet illuminé dans l’Aubrac ? Cela a mis du temps à être accepté. En 1999 il a décroché une troisième étoile Michelin pour son restaurant. Sa table était symbole de modernité. Il a été désigné par ses pairs en 2016 « chef le plus influent ». Ferran Adrià de El Bulli le citait en maître.

 

Aujourd’hui, la patte Sébastien Bras, c’est quoi ? 

L’alliance entre un héritage familial, un territoire et l’air du temps. Rien n’est figé, les menus sont réimprimés midi et soir en fonction des cueillettes sauvages ou issues de notre jardin, des rencontres, des retours de marché, des saisons, de l’inspiration... Parfois 30 minutes avant le service ! Avec le label « Michel Bras », on aurait pu se transformer en musée. Mon épouse Véronique et moi avons toujours eu envie de faire vivre cette maison avec son temps, innover tout en restant ancré dans l’Aubrac, conserver ce côté intemporel qui est le nôtre.

  • © Le Suquet
  • © C. Detraz

 

Une création 100 % végétale, avant-gardiste, comme une photo de l’Aubrac.

Le plat emblématique, iconique du Suquet, reste le Gargouillou, qui a fêté ses 40 ans !

Ce plat a été imaginé par mon père au début des années 1980. Une création 100 % végétale, avant-gardiste, comme une photo de l’Aubrac. C’est l’essence de la maison mais aussi du moment, un jeu initié autour de cinquante, soixante, soixante-dix variétés de légumes, herbes, graines, fleurs. Le Gargouillou n’est jamais deux fois le même, ce n’est pas une recette figée, une nature morte. Le Gargouillou est toujours au menu… et n’est pas près de le quitter. 

  • Gargouillou © Alain Maurice
    Gargouillou © Alain Maurice

 

Quel est le plat aujourd’hui dont vous êtes personnellement le plus fier ?

La gaufrette de pommes de terre, crème au beurre noisette et caramel au beurre salé. Pierre Hermé m'a fait des compliments sur ce dessert ! Je m’amuse aussi beaucoup autour de l’endive que j’adoucis avec quelques notes de miel du Suquet, des agrumes et de la peau de lait.

 

Y a-t-il un plat ou une saveur qui vous retourne ? 

La peau de lait justement. Cela me rappelle mon enfance. Ma grand-mère me préparait des pascades, des crêpes épaisses typiques de l'Aveyron. J'aimais le contraste entre le chaud de la crêpe et le frais de la peau de lait dont elle était nappée. Le pastre aussi, qu’on appelle ici « sac d’os ». Une spécialité devenue rare, à base de travers de porc, os inclus, qu’on met dans un gros boyau. On sale, on poivre abondamment et on laisse sécher longtemps. C’est la dernière salaison après les saucisses et les saucissons.

  • Crispy Waffle © Le Suquet
    Crispy Waffle © Le Suquet

Vous avez demandé à ne plus figurer sur le fameux guide rouge qui vous avait attribué, dans la continuité de votre père, 3 étoiles. Pourquoi ?

J’ai réfléchi au fil du temps au sens que je voulais donner à mon métier, plus largement à ma vie. Cela m’a amené à demander au Michelin en 2017 de me supprimer de leur sélection. Une première à l’époque ! Pour l’anecdote, je me suis bizarrement vu affublé, deux ans plus tard, de 2 étoiles [non mentionnées sur le site du Suquet, NDLR] ! Si les 3 étoiles ont contribué à bâtir notre réputation, je pense aujourd'hui qu'elles sont plus un obstacle qu'un avantage. Je suis passé à autre chose, tout en continuant à faire ce que j'ai toujours fait : prendre plaisir à cuisiner dans ma région reculée de l'Aubrac, avec mon équipe, en famille. Je veux juste le faire de manière plus détendue, plus sereine, sans tension, hors compétition. 

 

Le Suquet ferme 5 mois, de novembre à mars. Que faites-vous pendant ce temps ?

Lorsque la terre hiberne, le restaurant ferme. Ce serait un non-sens d’aller à contre-courant ! Ces cinq mois, je les mets à profit pour voyager, aller à la rencontre d'autres cultures. Une évasion indispensable pour cultiver des envies, des dynamiques, des projets nouveaux. Je réfléchis aussi à la création de nouvelles recettes.

  • Jardin de Lagardelle © Bras
    Jardin de Lagardelle © Bras

 

À lire : Le goût de l'Aubrac - Sébastien Bras 

À travers archives personnelles, photographies de l'Aubrac et quarante recettes, Sébastien Bras dévoile l'histoire du restaurant Le Suquet et de sa famille. Une plongée dans l'univers du chef.

Photographies :  Anne-Claire Héraud et Benjamin Schmuck.
Editions Phaidon. Prix : 49,95 €

Pratique

Le Suquet

Route de l’Aubrac, 12210 Laguiole

3 menus : l’« Aubrac » à 195 €, le « Légumes » à 220 €, et la « Balade » à 275 € 


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