Alexandre Gauthier, le prodige iconoclaste de La Grenouillère
À l’évidence, Alexandre Gauthier est un briseur d’image, un caractère bien trempé qui a su, pour le meilleur, chambarder le landerneau des grands chefs.
L’expérience qu’il propose aujourd’hui à La Grenouillère, à une demi-heure du Touquet-Paris-Plage, va bien au-delà d’un bon repas. Il y décline une cuisine extraordinairement pointue, invitant les convives à pénétrer dans son univers. Surtout, il livre une véritable philosophie de vie.
Au nom du Père et du Fils…
Fils d’un père cuisinier, élevé dans cette auberge rustique nichée au pied des remparts de Montreuil dans le Pas-de-Calais c’est naturellement vers l’école hôtelière que se dirige d’abord le jeune Alexandre. Le temps de l’apprentissage, chez les plus grandes toques du siècle dernier. « J’ai beaucoup appris en cuisine, mais j’ai surtout su ce que je ne voulais pas devenir » résume-t-il aujourd'hui. Une façon élégante de dire qu’il ressentait déjà un impérieux besoin de s’émanciper pour mieux construire son univers, de libérer la formidable énergie qui sommeillait en lui.
En 2003, les études derrière lui, Alexandre Gauthier accourt aider son père à l’auberge familiale, celle-ci connaissant des difficultés financières. La perte de l’étoile Michelin combinée à un certain isolement géographique ne rendent pas la vie facile. Les cuisses de grenouilles poêlées, l’agneau de pré-salé et les crêpes Suzette ont fini par lasser les inspecteurs du Guide Rouge. Entre 2000 et 2003, en quatre éditions du Guide Michelin, la description de la Grenouillère et de ses spécialités n’a pas changé d’une virgule. Une révolution s'impose.
C’est à ce moment que le fils entre en scène. Il impose sa personnalité, faisant virer la Grenouillère de bord. L’équipe se resserre autour d’un leader charismatique et inspirant. « Ici, on est dans le mouvement permanent » lance-t-il, comme une devise. Au menu, l'audace et la nouveauté sont la marque de fabrique du nouveau patron des cuisines : clams et couteaux à la grenade ; bar cuit à basse température ou pigeon de Licques, marié à des pommes fruits.
Un vent de modernité souffle sur les longères blanches du hameau. Le Gault et Millau, malgré un style un peu ampoulé, trouvera les mots justes. « Il est rare qu’un jeune chef, intronisé, qui plus est, par filiation, montre, dès les premiers temps, autant d’autorité et de lucidité ». La fusée Alexandre Gauthier a décollé.
La vision et le projet fou
En 2008, l’étoile Michelin brille à nouveau à la Grenouillère. L’établissement se stabilise financièrement. Alexandre Gauthier a désormais la certitude de pouvoir continuer à s’exprimer.
D’une rencontre avec l’architecte Patrick Bouchain, au fil de longs mois de discussions, naît un projet architectural fou. Un restaurant révolutionnaire, totalement immergé dans la nature, sans séparation entre cuisine et salle.
ÀÀ La Grenouillère, on est à mi-chemin entre une maison d’hôtes avec vue sur les cuisines et un superbe écrin, au milieu des ruches et des herbes du jardin.. La cuisine est un Grand Œuvre avec sa gigantesque cheminée foncée et ses chaînes en acier. Entre obscurité et lumière, grâce aux grandes baies vitrées, le spectacle est total. On croit deviner le feu de l’alchimiste derrière les pianos de métal. En cuisine, ou plutôt à une extrémité de la salle, l’atmosphère est unique. Personne ne crie, chacun s’affaire, hyper concentré, à la confection des créations millimétrées du chef.
Un dîner stratosphérique
Et quelles créations ! On comprend aisément l’arrivée de la deuxième étoile Michelin. Moins pourquoi il a fallu attendre 2017. Sous des intitulés simples mettant en avant les produits de la région, les menus comptent au choix 8 ou 11 services. Respectivement affichés à 110 ou 145€ par personne, le rapport qualité/prix est heureux.
Ce soir-là :
- Navet, langoustine : une entrée aquarelle toute en douceur ; légume et crustacée crus flanqués d’une gelée pastel pomme-citron.
- Le Maquereau rafraîchi, légèrement fumé, intrigue avec sa vinaigrette de glaçons servie minute, les petits pois frais, les herbes justes prélevées du jardin, le craquant d’un cracker. C’est un grand plat, inventif et complet. D’autant plus gourmand qu’il exalte un produit simple.
- Les Blinis de lait entier, tourteau livrent une texture suave inimitable. L’effilochée de crabe célèbre la Côte d’Opale, l’émulsion citronnelle l’exotisme. Encore une surprise, fruit d’un incroyable talent.
- La Pêche jaune grillée sera peut-être la composition la plus marquante du dîner. Associer le fruit poêlé au navet cru, au quinoa soufflé, à une délicieuse bouchée de vive (le poisson) grillée et au tarama (enfin, j’ai cru reconnaître du tarama…) relève du prodige. On ne s’étonne plus, papilles blasées, d’être en virée dans la stratosphère. Malgré toutes les idées déployées, les nouveautés et la radicalité créative, les produits demeurent francs, les accords lisibles.
Comme certaines expériences doivent se vivre et ne se racontent pas, on ne vous détaillera pas la suite. Elle est du même acabit, supersonique :
- Courge jaune, bulot (bulot grillé en fine lamelles / courge assaisonnée à l’huile de pollen)
- Câpres, araignée géante (gnocchis aux câpres / gros morceau juteux d’araignée de mer / explosion d’herbes)
- Haricots beurre, anchois, fenouil
Non inscrite au menu, une amusante dragée de « poulet rôti » façon cuisine moléculaire - la seule incursion du genre - fait guise de trou normand, pour mieux enchaîner.
- Pigeon de Licques (pigeon peu cuit et super tendre / brioche tiède aux herbes)
- Laitue braisée, oseille (miam l’acidité qui apporte du peps au pigeon)
Et enfin les desserts, venus de la planète Mars :
- Rhubarbe, bouleau
- Fraise, cerfeuil perpétuel
- Cacao, amandes, vinaigre cristal
La philosophie du mouvement
C’est bien une « Lecture incarnée de la Côte d’Opale » qui nous a été donnée à vivre. Une photographie singulière du territoire, à travers le « savoir-faire de celles et ceux qui y habitent ». Nul doute que l’inspiration d’Alexandre Gauthier lui est personnelle, aucun autre restaurant ne proposant une expérience culinaire similaire. Qui, d'ailleurs pourrait-il copier, lui qui ne va jamais chez les autres ?
« Mes amis ne sont pas cuisiniers, je vis dans un univers de proches, de poètes, d’artistes… » explique-t-il. C’est certainement un univers d’artistes confirmés car règnent ici, dans la recherche et les prises de risques quotidiennes, un aboutissement et une précision extrême. Là résident peut-être la passion et le secret d’Alexandre Gauthier. Un renouvellement incessant, un mouvement perpétuel qui est la signature de sa cuisine mais qui anime aussi ses activités et le développement constant de ses entreprises. Comme une ode à la vie, la nécessité d’aller de l’avant en faisant bien, à son idée, est constante. Quitte à bousculer l’ordre établi.
Tout droit sorti de l'imaginaire d'Alexandre Gauthier, un nouvel art de vivre. Une approche infiniment actuelle du luxe à l’état cool. Un mix de partage, d’échanges, de décontraction et d’excellence. Un Relais & Châteaux où les suites sont des « huttes » grand confort, la télé cachée dans un sac à patates, avec pour seul vrai écran une large baie vitrée montrant la nature brute.
Quand la famille Troisgros se déplace pour comprendre ce lieu d’un genre nouveau puis décide un beau jour de construire sa nouvelle maison dans les environs de Roanne avec le même architecte, une âme similaire, c’est que l’heure de la reconnaissance a sonné.
Un voyage à la Grenouillère surprend, fascine, donne de l’élan et invite à sa propre réalisation. Une belle leçon de vie qui soulève néanmoins un constat et une interrogation. « Ce n’est qu’à deux heures de Paris. Quand est-ce qu’on y retourne ? ».
La Grenouillère
19 Rue de la Grenouillère
62170 La Madelaine-sous-Montreuil - FRANCE
Jours d'ouverture & Horaires
Variables en fonction des saisons. Vérifier sur le site du restaurant.
Contact
Tél : + 33 (0)3 21 06 07 22
contact@lagrenouillere.fr
Site Web officiel de La Grenouillère