Alsace : la renaissance de Jean-Georges Klein à la Villa René Lalique
Les débuts de Jean-Georges Klein : le café du village de Baerenthal
À quelques kilomètres de Niederbronn-les-Bains, c’est derrière la modeste façade d’un café de village que l'Arnsbourg servait depuis le milieu des années 1970 la cuisine de terroir de Lilly Klein. La salade de grenouilles tièdes à la ciboulette, le parfait de foie gras, les noisettes de faon aux groseilles et au Knepfle, le salmis de pigeon, les sorbets maison ou la charlotte à la menthe attiraient une clientèle fidèle ou de passage.
En 1988, le Guide Rouge attribuait une étoile à la cuisinière dont les enfants dirigeaient la salle, attentifs à chaque chose. C’est quand sa maman dût rendre son tablier, bien après l’âge réglementaire de la retraite, que Jean-Georges Klein devint naturellement cuisinier. Il avait alors quarante ans.
Il perpétue d’abord la tradition d’une cuisine classique. Ainsi, la ballottine de caille au foie gras, le croquet d’agneau aux truffes ou le méli-mélo de saumon et langoustines sont les spécialités recommandées par les guides du début des années 1990. L’étoile est confirmée et l’Arnsbourg affiche la note très honorable de 15/20 au Gault et Millau.
« Chez Pierre Gagnaire, je n’ai rien compris ! »
Et puis il y eût l’expérience singulière, celle qui change tout : la rencontre avec Pierre Gagnaire. Risquant des associations incongrues, le chef stéphanois proposait à l’époque une cuisine créative à la pointe de la modernité.
« J’ai toujours été très curieux. Je suis allé chez Pierre Gagnaire quand il a eu 3 étoiles Michelin à Saint Etienne. La première fois, je n’ai rien compris à sa cuisine… Ça m’avait tellement interpellé que quinze jours après, j’y suis retourné ! » se rappelle Jean-Georges Klein avant d'expliquer son état d'esprit de l'époque.
« Cela faisait deux ou trois ans que j’étais passé de la salle en cuisine et je me suis demandé pourquoi je suivais toujours Escoffier, Gringoire et Saulnier, à travailler toujours les garnitures x, y, z… » soulignant que Pierre Gagnaire « lui, faisait bien des choses très différentes ». Puis il revient sur ses débuts en tant que chef de cuisine à l'Arnsbourg. « Il y avait une cuisine bourgeoise de dame, celle qu'avait imaginée ma mère ».
Une cuisine qu'il fera évoluer, au fur et à mesure, encouragé par ses convives. « Ils m’ont encouragé à développer une cuisine plus personnelle, une cuisine à moi, avec les moyens du bord parce que je n’avais pas toute la technicité nécessaire. Mais j’y arrivais quand même, grâce à la passion ».
« La cuisine comme je la sens »
En se laissant guider par sa sensibilité, Jean-Georges Klein connaît alors une progression fulgurante. En 1998, le Michelin décerne une deuxième étoile à L"Arnsbourg. Seulement quatre ans plus tard, un troisième macaron vient couronner le travail acharné et la créativité de l’autodidacte . Peu de chefs auront touché le Graal gastronomique si rapidement.
Le chef alsacien se remémore cette ascension éclair. « Ça a été très rapide. Il y avait des chefs comme Olivier Roellinger qui attendaient la troisème étoile depuis des années et subitement,c’est moi qui l’ai eu, alors que je ne la recherchais pas. En 2002, on avait encore des brouettes dans le restaurant, on venait de transformer nos salles et notre cuisine. Tout était neuf, et là, on vous annonce que vous avez 3-étoiles… ».
Ses yeux pétillent quand il évoque ces souvenirs, inoubliables dans la vie d'un cuisinier. « On est trois chefs à l’avoir obtenue cette année-là : Christian Le Squer, Guy Savoy et moi. Une année à trois nouveaux 3-étoiles Michelin, c’était assez fou » !
La consécration était en fait très logique. Quel autre chef, au moment où Ferran Adria commençait à défrayer la chronique avec ses recettes moléculaires, a eu le cran d’aller se former directement chez elBulli à ces nouvelles techniques ? Qui, Bras, Gagnaire ou Veyrat mis à part, a eu l’audace de se lancer dans des associations de produits et de saveurs aussi improbables ?
Précurseur, Jean-Georges Klein n'hésite pas à proposer des menus fleuves, multipliant les assiettes : dix amuse-bouches, sept plats et une farandole de pré-desserts. Il associe le Saint-Pierre à la pastèque. Le foie gras au lait au romarin. Et utilise, pour la première fois en France, l’azote liquide, l’alginate ou la lécithine de soja.
Michelin approuve la démarche du chef autant que sa prise de risques. En 2015, le patron de l'Arnsbourg compte alors treize ans de 3-étoiles. Treize années passées au firmament de la gastronomie, treize années dans l’élite des 25 meilleurs cuisiniers français. Un exploit pour un autodidacte. Et Nicole Klein, son épouse et première admiratrice, de nous livrer ce trait d’humour : « Mon mari, c’est quelqu’un qui a raté sa vie professionnelle ! ».
L’arrivée à la Villa René Lalique en 2015
Mais l’Arnsbourg, c’est aussi malheureusement l’histoire d’un conflit familial, de partage et d’héritage, sur lequel nous ne reviendrons pas ici. En 2015, Jean-Georges Klein jette l’éponge et quitte l’établissement. Il rencontre dans le même temps Silvio Denz, patron de la Maison Lalique, qui cherche un chef pour lancer le restaurant de la Villa René Lalique à quelques kilomètres.
Voulant créer un véritable showroom pour l'enseigne, celui-ci a pour ambition de transformer la demeure historique de René Lalique en vitrine ultra luxueuse, membre des Relais & Châteaux. Pour mener à bien la métamorphose, l’homme d’affaires fait appel à l’architecte suisse Mario Botta qui imagine une immense cave à vins, une cuisine dernier cri et une salle de restaurant entièrement vitrée et ouverte sur la forêt environnante.
L’extérieur est très réussi, la belle villa à colombages traditionnelle alsacienne, parfaitement rénovée, est lumineuse, comme posée au sommet de la colline. Elle est prolongée d’un couloir moderne et de la salle de restaurant rectangulaire construite de grès rose des Vosges, métal noir et baies vitrées. L'ensemble a l'allure d'une maison Playmobil neuve, adossée à un vaisseau extraterrestre. Rien d'étonnant, Jean-Georges Klein est un ovni dans l'univers de la gastronomie française !
À l’intérieur, la décoration est résolument marquée Lalique. Il faut aimer le cristal, la laque noire et le doré, l’Art déco mélangé au moderne, pour se sentir à l’aise. On est situé quelque part entre Majorelle, l’Orient-Express, le clinquant de Damien Hirst et un rutilant palace dubaïote. Le cristal brille, des accoudoirs aux lampes en passant par le mobilier, sans oublier, bien entendu, les verres dont le prix unitaire dépasse celui du menu !
Comble de la sophistication, un porte-bouchon en cristal est posé sur table, manière originale d’admirer d’exquis cadavres œnologiques.
La cave, au sous-sol, est exceptionnelle. Dans un rectangle noir de verre et de bois repose une collection de 20,000 flacons principalement d’origine alsacienne et bordelaise. Si on peut, on choisira un Yquem de la fin du XIXème siècle ou plus raisonnablement un Château Lafaurie-Peyraguey, propriété de Lalique.
« Il n’y a que l’excellence qui compte »
Vient le temps du repas, point culminant de notre voyage en Alsace. « On essaye de subjuguer, d'étonner le client » explique Jean-Georges Klein en préambule.
Effectivement, sa cuisine ne cesse de surprendre. Avec 80 nouvelles recettes par an, il se surprend d’ailleurs certainement lui-même ! « Refaire les mêmes choses l’embête profondément » nous livre Madame Klein. Son mari est un talentueux touche-à-tout. L’œuf, servi dans sa coquille d’argent, est une première leçon d’onctuosité, de complexité et de finesse. C’est aussi un voyage vers d’agréables contrées japonaises.
La langoustine, servie crue en plusieurs carpaccios, se décline à la fraise, à l’hibiscus, la cranberry et la framboise pour un festival de peps. La fraîcheur et la qualité du produit sont irréprochables malgré les 800 kilomètres nous séparant de l’océan. Le plat est conçu pour un grand Riesling alsacien, droit et acide. Si le chef veut étonner, l’accord mets et vins détonne.
Direction le Sud grâce au rouget, verveine, ananas. L’aigre doux joue avec l’acidité, les contrastes du poisson, tantôt croustillant tantôt cru, saturent les papilles. Un riche Rioja espagnol met tout le monde d’accord. Mieux serait insupportable !
Le niveau monte pourtant encore d’un cran quand arrive le plat signature de la Villa. Capuccino pommes de terre et truffes. Boum. Rien à décrire, il faut venir, simplement goûter ce plat, au moins une fois dans sa vie. Quel regret de ne pas en avoir commandé une portion en fin de repas, pour garder le goût délicat de la truffe, la texture de l’onctueux parmentier, l’amer du cacao. On comprend mieux pourquoi Madame Klein, un jour de démonstration culinaire, en a savouré six d'affilée !
Comme l’Alsace est un grand territoire de chasse, le pigeon est servi façon gibier, flanqué d’un jus corsé aux picholines. L’ensemble est puissant, le pinot noir régional plus judicieux qu’un Gevrey, le travail sur les fruits et légumes célèbre, une fois de plus, les contrastes. La brunoise de betteraves, la gelée de framboise, les jeunes betteraves multicolores en escabèche sonnent comme un arpège. Jean-Georges Klein se fournit auprès du même éleveur de pigeons depuis 28 ans. « C’est une excellente qualité, je pourrai certainement en avoir un peu moins cher ailleurs mais quand on veut une qualité, on ne discute plus le prix ».
Ainsi pourrait se résumer la philosophie du chef de cuisine autodidacte. Partir d’un produit irréprochable, développper une curiosité insatiable, déployer une créativité virevoltante et révéler des mariages insolites. « L’expérimental pour tout » nous confiera-t-il, en guise de devise. Comme un chercheur savant qui ne dort que quatre heures par nuit, habité par sa passion, son approche de la cuisine est unique.
Arborant un bienveillant et contagieux sourire, il conclura notre entretien sur une pirouette avant de repartir travailler à la recherche de pics d’acidité, de variances et de textures nouvelles. « De toute façon, je suis un jeune cuisinier, je n’ai commencé qu’à l’âge de 40 ans ! ».
Villa René Lalique
18 Rue Bellevue
67290 Wingen-sur-Moder
La Villa René Lalique se trouve à 5 minutes du Musée Lalique et de la Manufacture Lalique.
Menus
Menus dégustation de 108 à 185€, hors boissons. À la carte, comptez 120 à 140€ par personne.
Horaires
Ouvert du jeudi au lundi au déjeuner et au dîner.
Accès
- Aéroport Strasbourg-Entzheim SXB à 59 km
- Wingen-sur-Moder se trouve sur la ligne de train TER Strasbourg – Sarreguemines – Sarrebrück (DE)
Informations et réservations
Tel : + 33 3 88 71 98 98
Site Web de la Villa René Lalique