Emmanuel LaveranEmmanuel Laveran, Le vendredi 17 mai 2024
Chefs

David Bizet au restaurant gastronomique du Péninsula Paris

En ce milieu de printemps, nous sommes allés rendre visite à David Bizet, 2 étoiles Michelin et l’un des chefs parisiens les plus en vue du moment
  • Coquille Saint-Jacques raidie, perle noire grillée, algue, bouillon raifort : kiwi acidulé © Arbes
    Coquille Saint-Jacques raidie, perle noire grillée, algue, bouillon raifort : kiwi acidulé © Arbes

David Bizet, dans son restaurant de Paris l’Oiseau Blanc, partage l’expérience enthousiasmante et singulière d’une cuisine précise, contemporaine et généreuse, basée sur de superbes produits de saison déclinés en séquences de 3 à 5 temps. A la table gastronomique du Péninsula, sous une verrière panoramique face à la Tour Eiffel, le chef célèbre les mariages terre/mer, il nous confronte à des partis pris assumés, nous ouvre en grand les portes de son imagination et de sa créativité débordantes. On vit un repas exceptionnel, quelque part entre les influences et les styles de cuisine d’un Pierre Gagnaire (par la créativité, la complexité des associations…) et d’un Michel Troigros (pour le goût pour l’amer, l’acide). On navigue entre contemplation de plats soignés et graphiques, service de palace (chariot de présentation du caviar) et papilles en ébullition permanente. Bref, dîner ou déjeuner chez David Bizet, c’est s’offrir un moment hors du temps, suspendu dans le ciel de Paris. Un de ces rares moments de fête totalement aboutie qui ne laissera personne indifférent et qui inscrit durablement l’Oiseau Blanc dans la liste restreinte des dix plus belles tables de la capitale.

  • David Bizet © Arbes
    David Bizet © Arbes

 

Après avoir dégusté un sublime ris de veau croustillant et laqué de sauce XO, un épatant homard à la betterave décliné en 3 services (dont les formidables tagliatelles de seiche/caviar/jambon/jus aérien de homard), les belles asperges vertes sauce aux champignons et fines tranches de foie gras, le tourteau décortiqué, radis, caviar, rhubarbe…nous avons interrogé le chef sur la nature de ses inspirations.

  • Le tourteau
    Le tourteau

 

Bonjour chef, comment définiriez-vous votre cuisine ?

« C'est assez simple. Je développe une identité inspirée d’une cuisine gourmande bourgeoise, parce que c'est ma ligne d'apprentissage et de travail. Une base de grande cuisine française, avec des curseurs. Pourquoi « cuisine bourgeoise » ? Parce que j'essaie de célébrer la gourmandise en permanence. J’apporte toujours aussi de la vivacité, de l'amertume, de l'acidité…c’est mon fil conducteur, je souligne dans tous les plats une intensité acide-amère. Au-delà de ça, j’essaye de proposer une cuisine bourgeoise de style contemporain. C'est-à-dire que l’on fait très attention au sourcing en privilégiant les produits locaux. Je suis également très influencé par mes origines, je glisse des clins d'œil au Perche dans toutes les assiettes. On fait venir des légumes bio du Perche et on a bien sûr aussi 3 ou 4 maraîchers parisiens. Cela paraît tellement classique et normal aujourd'hui. Mais la démarche n'est pas si répandue que l’on peut bien le croire. Tout le monde en parle mais nous faisons un vrai travail de sourcing ici.

  • Amuse-bouche à L’Oiseau Blanc
    Amuse-bouche à L’Oiseau Blanc

 

Bien sûr, en circuits courts pour les produits de la mer, avec nos pêcheurs en direct. On fait également venir une viande d'exception du Finistère. On nous livre une bête entière tous les quinze jours. Pas le ris de veau par exemple, parce qu'aujourd'hui, en France, on n'en produit pas assez, c'est très clair. Mais on aime sourcer le produit d’exception car on obtient une délicatesse et une interaction permanente avec la saison. Je ne change pas ma carte mais je change des plats tout le temps ! Ce sont les arrivages et la qualité des produits qui rythment une cuisine en mouvement basée sur ce que la terre peut délivrer. » 

Ce réseau de producteurs, vous l’avez mis en place au fil du temps ? 

« Oui, on a un réseau en place depuis longtemps. Je suis normand, donc les coquilles Saint-Jacques, les homards, les bulots… proviennent de connexions à Grandville… »

Un pêcheur en direct ?

« On se fournit auprès de plusieurs pêcheurs en direct, oui ! Mais surtout auprès d’un mareyeur qui rapporte la pêche des différents pêcheurs. C’est clé. Cela ne m'intéresse pas que chacun vienne avec son camion. Je préfère avoir un mareyeur qui regroupe 3 ou 4 pêcheurs et qui ne va venir qu’une fois. Au moins, c'est très clair, on sait avec qui on travaille, on connait les bateaux, on identifie même les poissons par pêcheur. Cette démarche est cruciale. J’ai dans les gênes cette sensibilité de la proximité avec le produit. Petit fils d'agriculteur, je jardine, j'entretiens mon propre potager, j’ai développé un affectif très fort là-dessus. On cultive aussi notre herbier sur le toit de l’hôtel, 350 m² de plantes et d'herbes qu'on sert dans nos assiettes. A midi moins le quart, les commis font un petit tour dans le jardin, ils prennent l'air, ramassent les herbes au dernier moment, juste avant le service, et vous les retrouvez dans l’assiette. C'est important, cette façon d'amener quelques touches de fraîcheur en plein centre de Paris. »

L’Oiseau Blanc

 

Et votre créativité provient d'où ? L'idée d’une béarnaise à la betterave avec un homard ? Vous proposez des associations qui ne sont pas très communes.

« Bien sûr, en fait, j'aime bien avoir cette complexité des goûts, qui est assez naturelle. Quand on parle d'une béarnaise, on évoque ce côté gourmand, le beurre, l’œuf. Mais on y trouve aussi un vrai plaisir acide, que j'ai voulu contrebalancer avec un amer naturel - toujours ma ligne de conduite acide-amère- avec la betterave. La betterave dévoile un amer naturel et une sucrosité qui balancent avec l'acidité et offrent à la sauce une forme de complexité sans pour autant être complexe en fait ! Tout est pur, nature, et assemblé, cela créé des goûts nouveaux. C'est ce que j’essaye de rechercher, utiliser la force des uns et des autres pour faire naître une émotion. Lorsqu’un client vient à ma table, je veux provoquer le plaisir gourmand, graver un instant dans sa mémoire.

J'ai envie de créer cette sensation-là, ce sentiment donc je pousse les curseurs dans chaque plat, sur la puissance, proche des limites parce que ce n’est qu’à partir d’un certain stade que le curseur restera fixé en tête. Il ne faut pas que ce soit « trop », mais il faut que ce soit « beaucoup ». Je recherche ces formes d’intensité. »

  • David Bizet © Arbes
  • L'Oiseau Blanc

 

D’autres mariages sont très singuliers aussi.

« Il y a des assiettes que j’adore : le ris de veau par exemple. Pour moi, c'est la synthèse du plat gourmand. J'apprécie cette façon de préparer le ris de veau, avec le XO chinois. On va ressentir la concentration des saveurs de la crevette, de la Saint-Jacques séchée dessus, de l'ail, du piment, juste ce qu'il faut pour déranger un peu et couper le côté suave et neutre de la viande. C'est ce qu'on va essayer de gommer en fait, avec cette sauce, l'acidité de l'oseille, on recherche un équilibre, on essaye de tout accorder de la plus belle des façons. »

  • Le homard en 3 services
    Le homard en 3 services

 

C'est intéressant, il s’agit d’une démarche assez atypique.

« Oui, on dit parfois que 3 mariages, c'est déjà beaucoup. Ok, soit ! Mais parfois j'aime faire exprès d'aller dans l'exubérance. Pourquoi ? Parce qu'on est capable de le faire aujourd’hui dans notre cuisine. On peut dire qu’à partir d’un tourteau qu'on décortique à 11 heures, que l'on sort à peine de la cuisson, on peut créer 5 assiettes différentes avec un côté totalement libéré et spontané. Réalisez que ce que vous avez dégusté aujourd’hui, vous ne le mangerez plus jamais fait comme ça, parce que je ne le referai plus jamais comme ça ! »

 

C'est-à-dire que même en cuisine, du jour au lendemain, vous changez de recette ? 

« Totalement ! L'assiette centrale va rester un moment à la carte mais les séquences autour varient. On utilise tous ces petits goûts et on construit les « à côté ». Ce n'est que de la mémoire, on assume ça, on mélange, on superpose. Aujourd'hui, je m'amuse, j'ai 46 ans et j'assume pleinement notre façon de cuisiner, je suis heureux dans ce que je fais. On sert vraiment ce que j'ai envie de délivrer, ce que j'aime manger, dans l’instant. » 

  • L’équipe © Roméo Balancourt
    L’équipe © Roméo Balancourt

 

Et quelle est la source de la créativité ? 

« La créativité provient sûrement d’une accumulation de savoirs, de goûts. Lorsque l’on cuisine, on passe notre vie à goûter. Cette lecture ressemble à la musique. On a toujours une complexité, on peut avoir des intensités différentes qui se superposent, qui s'accumulent, se suivent pour former une jolie partition. La créativité naît tout simplement. Mais mon inspiration vient aussi du fait d'être souvent dehors. Tous les week-ends, je vais dans la nature, à la chasse, à la pêche, ramasser des champignons, voir des éleveurs…je suis dehors tout le temps ! L’autre jour, je trouve des pissenlits bien verts. Ce n’est pas du tout la saison mais je les goûte quand même. Et là, je ressens un amer très fort, parce qu’ils sont juste sortis de l'hiver, ils ont végété, ils étaient restés là pendant des mois. Je réalise soudain que je n’avais jamais goûté un amer comme celui-là. Ce goût de pissenlit, alors, je peux le prendre et l’utiliser. Autre exemple, en ce moment, les premières fougères sortent, on les voit, on les vit donc on les ramasse. La spontanéité de la vie à l'extérieur nous fait évoluer… et les plats de changer en permanence ! »

Spontanéité, assiettes uniques, recettes qui évoluent chaque jour, voilà de belles incitations à revenir s’attabler sous la verrière de l’Oiseau Blanc, afin d’appréhender la démarche singulière d’un chef parisien pas tout à fait comme les autres.

Pratique

L'Oiseau Blanc

The Peninsula Paris – 6étage
19 Avenue Kléber, Paris 16e

Horaires
Ouvert tous les jours de 12h à 14h au déjeuner et de 19h à 22h au dîner

Réservation
Téléphone : +33 (0)1 58 12 28 88
Email : oiseaublancppr@peninsula.com

Informations et menus
Site Web de L'Oiseau Blanc au Peninsula Paris