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Pascale MissoudPascale Missoud, Le mardi 23 mai 2023
Chefs

Portrait du chef Benjamin Jourdren à La Table de Balthazar

À deux pas du Parlement de Bretagne, La Table de Balthazar, restaurant du Balthazar Hôtel et Spa à Rennes, est dirigé depuis 2020 par Benjamin Jourdren. Une pétillance juvénile et directe et un agréable moment de partage avec ce chef qui dit « nous » et pas « je » en évoquant sa cuisine.
  • La Table du Balthazar © DR
    La Table du Balthazar © DR
  • Table Balthazar © DR
    Table Balthazar © DR
  • Hôtel Balthazar © DR
    Hôtel Balthazar © DR

Il s’était juré de devenir chef avant 30 ans. Pari tenu. Bon, il ne pouvait pas deviner qu’une semaine après avoir été nommé chef de La Table de Balthazar, restaurant de l’hôtel éponyme à Rennes, un des plus beaux hôtels de Bretagne, sonnerait le premier confinement en mars 2020. Mais Benjamin Jourdren s’en amuse encore. Rencontre avec le jeune cuisinier qui chapeaute l'une des meilleures tables de Rennes, en apparence cool mais exigeant, fougueux mais patient, nature mais discipliné. 
 

YONDER : D’où venez-vous ?

D’ici ! Je suis né à Rennes, j’ai grandi à Saint-Herblon, fait mon parcours avant de revenir… à Rennes.

La cuisine, tombé dedans quand vous étiez petit ?

Absolument pas. En seconde générale, je partais sur un cursus informatique. En première je fais un bilan assez désastreux, je réalise que c’est trop abstrait pour moi. Il faut que je transforme l’essai. Ma mère déjeunait régulièrement dans un petit bistrot salle de concert, Le Sablier, une institution rennaise à l’époque. Cuisine minuscule où l’on tient à 2, je fais un stage d’un mois. J’aime bien le rythme, l’aspect très concret. Gigi, la cuisinière, connaissait un ancien compagnon du devoir qui travaillait au Café Leffe, place de la Gare. J’y obtiens mon alternance de deux ans pour décrocher mon BEP. Puis j’ai envie de m’initier au monde de la gastronomie. La Gréé des Landes, à La Gacilly me prend en alternance, cette fois, pour passer mon Brevet Professionnel. Là, on ne se contente plus de servir des plats, on se pose des questions. Il y avait aussi cette spécificité de restaurant 100% bio, rare à l’époque, et très tourné vers le végétal. Cela me plaît, j’y reste 4 ans, gravis les échelons jusqu’à devenir second. Je ne suis pas un gros baroudeur, mais je décide de me confronter au monde des étoilés Michelin. Je redeviens chef de partie chez Jean-Luc Rabanel à Arles, qui était dans cette même veine végétale, un précurseur. Ensuite, direction Megève au 1920, chez Julien Gatillon deux étoiles Michelin.

  • Benjamin Jourden © Portrait Vicartem
    Benjamin Jourden © Portrait Vicartem


Et je me prends un mur dans la figure ! Il y avait un tel décalage au niveau du rythme, du niveau. Le premier mois a été très dur. On était dans une cuisine classique mais d’excellence, celle du palace, du produit de luxe ; la précision des cuissons, la rigueur, c’est là que je les ai vraiment apprises. De retour en Bretagne, je travaille au Saison, chez David Etcheverry à Saint-Grégoire, encore un étoilé et toujours en tant que chef de partie. Une ouverture de restaurant à projet gastronomique plus tard, Anthony Le Fur, rencontré lorsque j’étais apprenti à La Grée des Landes m’engage à La Table de Balthazar. En trois semaines, je redeviens second. Lorsqu’il décide de partir, début 2020 je suis nommé chef. Une semaine après avoir concocté ma première carte, le premier confinement ! Depuis, j’ai constitué mon équipe et on avance.

Simple mais pas simpliste ! J’aime cuisiner des produits de tous les jours

La tentation du bio ?

J’ai travaillé à La Gacilly, donc en 100 % bio. Si j’ai le choix entre deux produits de même qualité, oui, je vais aller vers le bio. C’est le cas pour le caviar de Neuvic que nous proposons. Mais ce n’est pas une condition sine qua non. Mon prédécesseur, Anthony Le Fur, avait réalisé un gros travail de sourcing. J’ai gardé la plupart des producteurs bios ou non. Pour les protéines, cela doit faire sens, on est surtout local ; ainsi je continue de prendre les lapins du Clos Vieuville, les pigeons de Joël Poirier. Il y a quelques nouveaux, qui sont venus nous démarcher ; c’est le cas de Quentin Stil à Montfort à une quinzaine de kilomètres de Rennes, qui fait de superbes micropousses : petits pois, capucine, shiso, c’est lui !
 

Une définition de votre cuisine ?

Simple mais pas simpliste ! J’aime cuisiner des produits de tous les jours. Surtout il faut que l’assiette soit lisible, c’est primordial pour moi. Le client doit retrouver ce à quoi il s’attend juste en regardant, même avec une pointe d’audace. La saison est une contrainte créative et la première des sources d’inspiration : en février-mars l’asperge blanche, en avril-mai les petits pois. Certains plats s’imposent d’eux-mêmes parce que la saison l’impose. Et c’est en intersaison qu’il faut être encore meilleur, avec une même palette de légumes, aiguiser les idées. Je fais beaucoup de veille culinaire.

  • La Table du Balthazar © DR
    La Table du Balthazar © DR

 

Il y a donc les producteurs que l’on ne veut pas oublier, ou la variété à instaurer pour s’extraire du porc, du boeuf. J’ai ainsi travaillé la caille il n’y a pas longtemps. Je prends plus de risques, la clientèle aussi est demandeuse. Au début, j’avais la sensation que les clients étaient moins aventureux. Depuis un an j’ai mis du lapin et cela a plu ! Je commence moi aussi à être en confiance. Et puis, il y a les associations qu’on a envie de tester, comme les fruits rouges avec le persil. Si j’utilise une épice, il faut qu’elle rende hommage au produit qu’elle accompagne. Elle a forcément une raison d’être, ce n’est pas juste pour faire joli. Et je suis plutôt aromates qu’épices. Je peux aussi partir d’un poisson ou d’une viande. Là, j’ai envie d’essayer le poulpe, une chair qui se prête bien aux alliances terre-mer. J’ai dit à mon équipe : on prend chacun deux tentacules, on essaie de trouver la cuisson qui nous convient. Il n’y a pas de ligne directrice.

Justement, quel chef êtes-vous en cuisine ?

Je suis humain ! Je suis très pédagogue. Dans mon parcours, il m’a fallu parfois beaucoup de temps pour comprendre quelque chose parce qu’on n’avait pas pris le temps de m’expliquer. Donc moi, il faut que j’explique, voire que je sur-explique. Je pose ma vision en cuisine, mais je ne m’impose pas en force. Je demande l’avis de la brigade. Chaque vendredi à 15h30, on sort un plat ou une entrée de la carte prévue le mois suivant, je l’explique et on goûte tous, serveurs compris. Là encore parce qu’ils doivent pouvoir répondre clairement au client qui pose une question. On ajuste les dressages, chacun donne son avis pour éventuellement rectifier. Il y a une bonne cohésion, c’est très important pour moi, pour nous. Chacun a cette constance, cette rigueur indispensable donc on peut se permettre d’être détendu parce qu’on est en place. On a une équipe intelligente.

 

Y-a-t-il des marqueurs bretons dans votre cuisine ?

J’aime ma région mais ce n’est pas une obligation. Je ne suis pas attaché à des traditions, je n’ai pas grandi dans une famille qui cuisinait particulièrement local. Ainsi j’ai goûté le gwell * à la Grée des Landes, celui de la Ferme des 7 Chemins. Les clients ne connaissent pas forcément ce produit 100% breton. Après, dans le processus créatif, on essaie de faire des produits locaux, mais il faut que cela ait du sens. Sur des événements, je vais  mettre en valeur l’oignon de Roscoff, l’artichaut, pour montrer qu’on ne fait pas que des plats gras en Bretagne !

  • Benjamin Jourden © Portrait Vicartem
    Benjamin Jourden © Portrait Vicartem



Une technique qui vous a marqué ?

Avez-vous remarqué ? Lorsqu’on se rappelle un plat préparé par nos grand-mères. On a toujours le souvenir du même goût. Ma grand-mère cuisinait le bœuf-carottes, le hachis Parmentier et les pâtes à la chair à saucisse. Et bien, d’une semaine sur l’autre, le goût était toujours le même. Et pourtant, le four n’était pas systématiquement à la même température d’une fois sur l’autre, les temps de cuisson variaient, elle n’avait pas de timer. On en a discuté avec un ami cuisinier, pour arriver à la même conclusion : pour que les plats de nos grands-mères puissent, chaque semaine, avoir le même goût, le secret était le temps. Mamie restait dans sa cuisine, surveillait. Elle ne s’éparpillait pas pour aller faire autre chose.

  • © TheTravelBuds
    © TheTravelBuds
Le brunch du Balthazar était une véritable institution rennaise

Le dimanche vous conviez au Grand déjeuner ; pas de brunch au Balthazar ?

Le brunch du Balthazar était une véritable institution rennaise. La crise sanitaire a supprimé un temps les buffets. Aussi, je dois bien l’avouer, je ne suis pas fan des brunchs. Pas assez gastronomique à mon goût, et beaucoup de gaspillage. Mais il ne fallait pas décevoir la clientèle locale, qui venait se retrouver en famille ici le dimanche. Alors on a imaginé ce Grand déjeuner, avec des plats à partager, à découper mais en version gastronomique. Nous proposons 3 viandes et 3 poissons, en fonction des arrivages. Il fallait que le moment reste convivial, que les clients renouent avec cette ambiance dominicale qui leur plaisait. De la même façon, la propriétaire de l’hôtel souhaitait mettre en place des apéritifs musicaux suivis d’un dîner food-sharing. Le principe ? Des plats servis en même temps pour l’ensemble des convives qui peuvent ainsi les partager. Pas vraiment des tapas, on conserve cette image gastronomique tout en cassant un peu les codes : je vais par exemple proposer du chou pointu avec du miso et un onglet de boeuf avec une réduction d’hibiscus.  Typiquement, je pourrais être client de ce genre de soirée !

 

Où allez-vous ?

J’ai encore beaucoup de choses à accomplir à La Table du Balthazar. La cuisine va être totalement rénovée, je vais donc avoir du nouveau matériel. Même si, oui, je reste sur une cuisine simple. Mais cela me permettra de faire encore mieux. Quand je vois mes premières cartes et ce que je fais maintenant, je me dis : « On a fait du chemin ». Je suis assez conscient qu’il y a certains freins pour l’instant pour viser une étoile Michelin. C’est dans un coin de ma tête mais ce n’est pas une course effrénée, nous allons à notre rythme. Les étoiles, c’est beaucoup de pression. Ce n’est pas comme ça que j’ai envie de travailler. On avance au quotidien. D’ailleurs, je n’ai pas de plat signature. Je ne l’ai pas encore trouvé. Et je veux aussi que mon équipe se sente bien. On y va sereinement.
 

  • Hôtel Balthazar © DR
    Hôtel Balthazar © DR


Le petit plus ?

En sus des accords mets-vins, le dessert est servi en accord met-cocktail concocté par le bar. Le room-service est classique, mais le chef, en clin d’œil, a ajouté un plat de penne-bolo à la chair à saucisse, inspiré de la recette de sa grand-mère.
 

*Le gwell, qui signifie bon en breton, est un ferment, un gros-lait traditionnel de Bretagne.

Pratique

La Table du Balthazar

19 rue du Maréchal Joffre, 35000 Rennes

Dîner gastronomique le soir seulement :

• Menu découverte en 3 plats à 45€

• Menu plaisir en 4 plats à 55€

• Menu signature en 6 plats à 71€.

La Table de Balthazar est ouverte du lundi au samedi de 19h15 à 22h00

• Menu plaisir en 4 plats à 55€

• Menu signature en 6 plats à 71€.

Le dimanche de 12h30 à 14h

Site Web