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Emmanuel LaveranEmmanuel Laveran, Le mardi 15 octobre 2024
Chefs

Alexandre Mazzia, un chef étoilé à l'écriture culinaire innovante

Alexandre Mazzia nous a reçus à Marseille dans son restaurant AM. Lors d'une passionnante interview, il nous a ouvert son âme. Modèle de réussite pour toute une génération de cheffes et chefs, on l'a notamment questionné sur son processus de création. Sa subtile recherche d'écriture culinaire se retranscrit dans la composition innovante d'une carte servie en séquences, ces assemblages de petites assiettes dégustation qu'il sait orchestrer comme nul autre.
  • Le chef Alexandre Mazzia en cuisine © Matthieu Cellard
    Le chef Alexandre Mazzia en cuisine © Matthieu Cellard
  • Le chef Alexandre Mazzia en cuisine © Matthieu Cellard
    Le chef Alexandre Mazzia en cuisine © Matthieu Cellard
  • Le chef Alexandre Mazzia en cuisine © David Girard
    Le chef Alexandre Mazzia en cuisine © David Girard
  • © David Girard
    © David Girard

Yonder : Bonjour Alexandre Mazzia, revenons un peu en arrière, pouvez-vous nous raconter comment commence votre attirance pour le métier de cuisinier ?

Alexandre Mazzia : Au départ, je ne me suis jamais dit que je voulais être chef, ou avoir mon restaurant. Tout vient de l'envie de connaître des choses différentes et de la soif de découvrir ce qui se faisait. J’ai toujours eu un manque de confiance culturelle du fait d’avoir vécu en Afrique et d’être revenu avec cette culture en France. Si j’analyse un petit peu, je me suis lancé tête baissée dans la cuisine sans trop regarder ailleurs, en voulant comprendre le maximum de choses et en tirant le plus de connaissances possibles. C’est vers l’âge de dix-sept - dix-huit ans, que je me suis investi pleinement dans la cuisine comme dans le sport. Je me sentais redevable aussi bien envers mes entraîneurs que mes chefs formateurs, de la confiance qu’ils m’ont accordée de réaliser mes deux passions. Cela s’est fait de manière naturelle, on m’a donné des responsabilités, on m’a toujours fait évoluer, je ne me suis jamais imposé.

  • © Matthieu Cellard
    © Matthieu Cellard

 

Y : Quel a été votre parcours à partir de 17 ans ?

A. M. : J’ai fait une formation à l’école hôtelière de St Cloud à Santos Dumont. Et puis j’ai eu la chance de faire quelques maisons à Paris, j’ai travaillé chez Fauchon place de la Madeleine avec à l’époque Pierre Hermé et le chef Clément. Ensuite j’ai fait le tour de France avant de terminer mes dernières années à l’ABaC à Barcelone, chez Santi Santamaria. En 2008, je suis allé chez Martin Barasategui à Lasarte, et c’est à la fin de l’année 2009 que j’ai débuté dans un restaurant de Marseille.

Y : Pourquoi avez-vous choisi l’ABaC et Barasategui ?

A. M. : C’était de simples opportunités, j’avais déjà fait le tour du monde. Cette culture espagnole me correspondait bien. À l'époque, dans les années 2005, on parlait beaucoup de la cuisine espagnole, notamment incarnée par El Bulli. Je voulais absolument comprendre les propos de ces restaurants.

Y : Et pourquoi n’avez-vous pas tenté El Bulli ? Était-ce par un manque d’opportunité ?

A. M. : Quand j’ai commencé à l’ABaC, on m’a proposé directement un poste. À l’époque c’était le chef qui vous plaçait, et j’ai été placé chez Martin Barasategui, sans avoir l’envie d’aller chez El Bulli. Je n’ai jamais eu la prétention d’aller apprendre dans un autre endroit pour être meilleur, j’ai suivi mon instinct, les gens et les conseils.

  • La salle du restaurant AM
  • La salle du restaurant AM

 

Y : Qui vous a le plus influencé au cours de votre parcours ?

A. M. : Côté espagnol, la vision de la cuisine est totalement différente de la France. Il n’y a pas le poids de la tradition, c’est assez libéré, comme leur culture en général. En France, j’ai rencontré des hommes formidables, Michel Bras qui avait un regard totalement différent, mais aussi Pierre Gagnaire, et je ne parle pas de cuisine mais d’hommes. Ils m’ont marqué par leur bienveillance, leur façon d’être. Quand on se revoit, on passe toujours de bons moments, pleins d’humanité et où l’on partage la même sensibilité. Par ailleurs, j’ai rencontré beaucoup de gens dans des foyers, des maisons de retraite, des traiteurs, j’ai travaillé chez des bouchers aussi. Des rencontres dont j’ai toujours tiré le meilleur et qui m’ont montré que ces personnes, de la maison de retraite aux 3 étoiles Michelin, partageaient tous une vraie passion.

Y : Y a-t-il des personnes qui ont marqué votre façon d’appréhender la création culinaire, que ce soient des techniques, des associations, des accords ?

A. M. : Si l’on regarde l’évolution de ma cuisine ces quinze dernières années, j’ai compris qu’il fallait développer ma propre écriture culinaire. Tout déconstruire afin de reconstruire mon propre style. Alors, je propose un univers différent, qui ne ressemble à rien d’autre. Je m’y retrouve. Ce sont mes assemblages et je pense que c’est ce qui fait la force de mes réalisations. Finalement, ce n’est pas quelqu’un ou quelque chose qui m’a influencé, c’est juste le prolongement d’une création et surtout d’un sentiment intérieur que j’écris chaque jour.

 

Y : D’où vous vient cette volonté de proposer une cuisine hyper-créative et innovante ? 

A. M. : Cela ne part pas d’une volonté. Je fais ce que je suis et ma cuisine évolue tout le temps, prolonge un sentiment personnel. Il n’y a pas de volonté de marquer ou de ne pas marquer. Maintenant, il y a des choses qui m’ennuient et que je ne fais plus car cela ne me parle plus, qui ne sont plus en adéquation avec mon sentiment de partage intérieur. Par exemple, faire un suprême de pigeon ou des cuisses confites avec un bon jus, je faisais ça il y a vingt ans. Je ne le critique pas car évidemment il faut savoir le faire, mais à un moment, où va-t-on chercher au fond de soi-même pour pouvoir donner autre chose ? Au-delà de la nourriture, la cuisine est un moyen d’expression, c’est pour cela que j’en suis là aujourd’hui. Au fond, j’ai viscéralement envie de donner quelque chose de plus profond que « juste » cuisiner.

  • Couteaux et homard © David Girard
    Couteaux et homard © David Girard

 

Y : Pouvez-vous me raconter la genèse de vos associations ? Comment cela se passe concrètement quand on crée la bouchée chocolat-anguille ? Quel est votre cheminement de création ?

A. M. : La genèse d’une création, c’est par exemple de prendre l’anguille en point de départ, un poisson assez gras, et se demander quelle association peut offrir une texture particulière. Comment peut-on associer quelque chose de métallique, de ferreux et de scintillant ? Et c’est là que l’idée du chocolat est apparue. Il y a différents points d’ancrage créatifs : cela peut être un sentiment ou un souvenir que l’on veut interpréter, ou encore une couleur, une musique... J’ai un terrain de jeu dans lequel je ne m’interdis rien, je ne m’oblige à rien non plus. Si ce soir je vois quelque chose qui me plait et que je tiens une nouvelle création, je peux la lancer tout de suite, sans problème. Je me suis créé mon propre univers dans lequel je peux m’exprimer pleinement. J’essaye de prendre du plaisir à faire plaisir.

  • Anguille chocolat © David Girard
    Anguille chocolat © David Girard

 

Y : Si l’on en revient à l’association chocolat-anguille, comment arrive le chocolat dans la création ?

A. M. : L’idée de chocolat vient du souvenir que j’ai de ma grand-mère qui aimait me donner une barre de chocolat quand je partais en mer avec mon grand-père. Quand on leur rendait visite, on mangeait du poisson. Puis je me suis demandé comment retranscrire ce souvenir. Vous voyez, tout est mélangé, il y a ce côté émotionnel… et la question qui se pose pour moi est « comment peut-on donner vie à ce souvenir avec une certaine technique, avec un équilibre, du gras, un côté iodé et une salinité naturelle ? »

Y : Pourquoi avoir structuré les menus en séquences ?

A. M. : J’ai envie de vous répondre pourquoi pas ? C’est simplement ma façon de m'exprimer, j’étire les saveurs, je crée des passerelles. J’associe le côté aqueux avec le piment, le côté transversalité-satiné d’une pommade qui va se faire avec un bouillon. Pour moi c’est important, c’est comme ça que je construis les choses. C’est venu naturellement, au fur et à mesure de l’écriture culinaire, bien sûr.

Y : Les séquences, ça existait avant vous ?

A. M. : il y a très peu de chef.fe.s qui faisaient comme nous avant je pense, mais cela arrive de plus en plus. Cela fait plus de quinze ans que je déroule les menus de cette manière, et c’est vrai que maintenant, on en parle de plus en plus. De mon côté, c’est simplement ma façon de m’exprimer, et ça a toujours été comme ça ! En tout cas, les chefs qui viennent au restaurant sont toujours surpris de ce foisonnement, des 7 à 8 séquences.

Y : Et pourquoi uniquement des séquences ?

A. M. : C’est pour moi un ensemble de choses qui me parlent. J’aime bien le côté iodé, avec tout un ensemble de poissons bleus ou de poissons presque cuits-crus - mais qui ont l’apparence du cuit - avec des bouillons astringents. J’aime ces tableaux qui me permettent de passer de paliers en paliers, et de générer une évolution dans la dégustation… et dans mon histoire intérieure.

  • Alexandre Mazzia © E. Laveran
  • Alexandre Mazzia © E. Laveran

 

Y : Les trois étoiles pour vous, c'est un poids, un aboutissement, une satisfaction ?

A. M. : Oui c’est un honneur, une fierté. On représente la gastronomie française à travers le monde. Je pense qu’on a montré que dans un restaurant comme le nôtre, souvent, la table est primordiale, la qualité de la cuisine proposée est essentielle au-delà du cadre. On est un restaurant de destination pour le monde entier, encore hier soir nous avions des Australiens, des Américains, des Argentins, des Japonais, c’est assez incroyable... Mais d’un autre côté, les trois étoiles, je ne les prends pas comme un poids. Je me suis plus rendu compte de l'impact des trois étoiles depuis que l’on a fait les Jeux olympiques. Quand on nous a choisis pour cuisiner aux J.O., je me suis vraiment rendu compte de toute cette décennie passée... Le fait que le travail que j’entreprends chaque jour a été salué par le plus grand guide gastronomique au monde, c’est fantastique.

Y : Est-ce que vous pouvez vous permettre de nouvelles choses désormais. Les 3 étoiles, ça a un côté libérateur ?

A. M. : En cuisine, nous continuons à faire ce que l’on fait. L’exigence que l’on s’impose, la rigueur, elle vient naturellement. Je n’ai pas d’objectif, je suis viscéralement comme ça. J’ai le cœur léger, la tête légère et mes seules contraintes sont celles d’un chef d’entreprise comme un autre.

 

Y : À titre personnel, qu’est-ce que vous aimez manger ?

A. M. : À  la maison, on fait des brunchs, on mélange du sucré-salé. À quatorze heures ou quinze heures, on a plein de choses sur la table. Je suis un fan de barbecue aussi, j’en prépare souvent à la cheminée. La pizza également, j’adore les pâtes à pain levées et cuites au four. Avec mes enfants, on assemble les choses avec des pestos, d’autres ingrédients. C’est simple… enfin, pour moi, c’est simple… mais eux, ça les étonne toujours.

Y : Est-ce que votre cuisine va évoluer ?

A. M. : On continue d’évoluer de manière naturelle. On a toujours une évolution, on a le piment, la torréfaction, le vinaigre… donc on explore beaucoup de choses, et il n’y a pas vraiment de cap vers lequel j’ai envie d’aller. Ça se fait de manière naturelle. Chaque matin, j’élabore ma cuisine. J’ai la chance de pouvoir toujours trouver un axe de travail différent qui permet d’avancer !

Pratique

AM par Alexandre Mazzia

9 Rue François Rocca, 13008 Marseille

Mercredi - samedi 12h - 14h15 et 20h - 21h45

Réservation : alexandre-mazzia.com/reservation-2

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