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Emmanuel Laveran, Le lundi 01 septembre 2025
Restaurants

Aux Vents et Marées, restaurant à Ault : la Côte d'Opale en circuit court

Au soleil, face à la mer, on s’est attablé Aux Vents et Marées, le restaurant à Ault signé Fabrice Bloch. Entre Baie de Somme et falaises de la Côte d’Opale, le chef y cisèle une cuisine locavore qui a déjà tout d’une halte incontournable. Vendredi 15 août 2025 : récit d’une Assomption culinaire.
  • Notre avis sur le restaurant Aux Vents et Marées du chef Fabrice Bloch, à Ault
    Notre avis sur le restaurant Aux Vents et Marées du chef Fabrice Bloch, à Ault
Au départ, c’était juste pour savoir faire un bœuf bourguignon dans les règles de l’art

Parmi les merveilles sous-cotées des côtes françaises, Ault, dans les Hauts-de-France, se réinvente sous l’impulsion de Parisiens en mal d’embruns et d’air iodé. Entre hautes falaises crayeuses et côte d’Opale, le village situé à  11 km du Tréport a vu l’ouverture récente de 4 ou 5 restaurants branchés. Aux Vents et Marées est le plus engagé et gourmand d'entre eux. Sa vue mer est imprenable : nous y avons déjeuné le vendredi 15 août 2025.

©E.Laveran

Du graphisme à la cuisine

Venu aux fourneaux par hasard, Fabrice Bloch a commencé à « mitonner des trucs tout seul » parce que sa mère cuisinait peu. À Paris, il suit des études d’art et de design à l’école Penninghen, mais passe déjà beaucoup de temps en cuisine : « Pendant mes études, je cuisinais pour les potes. Quand on organisait des soirées, c’était souvent moi qui préparais à manger », raconte-t-il. En 2006, sa mère, enseignante dans un centre de formation, lui glisse : « Toi qui aimes la cuisine, pourquoi ne pas préparer un CAP ? » Graphiste de métier, il hésite, puis la crise de 2008 le pousse à franchir le pas. « Au départ, c’était juste pour savoir faire un bœuf bourguignon dans les règles de l’art », sourit-il. Il se prend au jeu, décroche un poste chez Zoé Bouillon, puis des prestations de chef privé. En 2013, il cofonde la revue 180°C, mêlant design, journalisme et gastronomie, l’un des premiers médias français engagé dans le « mieux manger », de saison, local et en circuits courts. « Je n’ai jamais arrêté la cuisine mais j’avais moins de temps à y consacrer à ce moment-là », livre le chef. Jusqu’à cette rencontre qui change tout.

  • ©E.Laveran
    Le chef Fabrice Bloch ©E.Laveran

Cuisine inclusive 

C’est à ce moment-là que Flore Lelièvre entre dans sa vie. Jeune architecte, elle a fondé Le Reflet à Nantes, premier restaurant inclusif employant des personnes en situation de handicap, une cause qui la touche, puisqu’elle a grandi avec un frère trisomique. Fabrice se souvient parfaitement de leur première rencontre. « Pendant la réunion, j’avais une vue sur la cuisine ouverte. À un moment, la cheffe s’est adressé à une commise : Mais qu’est-ce que tu as dans la tête aujourd’hui ? J’ai adoré ! Je n’imaginais pas qu’on puisse parler aussi naturellement à une personne handicapée. » L’énergie de Flore, son rayonnement, son équipe : tout le séduit. Ensemble, ils décident d’ouvrir un Reflet à Paris (lire ici l’article Yonder dédié au Reflet Paris). Fin 2019, Fabrice devient coach et formateur des brigades. « J’ai adoré bosser avec eux, j’étais tombé dans la marmite », sourit-il. Résultat : un mi-temps à 70 heures par semaine, tout en continuant à assurer la direction artistique et la mise en page de la revue 180°C. Pas de chance : six mois plus tard, la crise du Covid frappe de plein fouet. En mars 2020, les restaurants ferment.
 


Des repas à 1 € pour les étudiants

« Pendant le Covid, impossible de laisser nos jeunes sur le carreau », se souvient Fabrice. « S’ils arrêtaient de cuisiner, on aurait dû tout reprendre à zéro. » Alors il invente des solutions : tutos envoyés sur WhatsApp, concours d’œuf mayo filmés depuis la cuisine de chacun et même une chaîne Youtube pour garder la main.  Dans le même temps, il découvre qu’en Belgique une jeune femme sert des repas à 1 € aux étudiants. Il la contacte, reprend l’idée avec son accord et s’associe à Guillaume Gomez, le chef de l’Élysée. Ensemble, ils cuisinent les invendus pour proposer leurs propres repas à 1 €. Succès fulgurant, les médias affluent. Face aux files d’étudiants patientant pour un repas chaud, la police vient même vérifier si le restaurant n’a pas rouvert clandestinement. « Certains venaient de perdre leurs parents, d’autres ne pouvaient plus payer leur loyer. Ils n’avaient rien », raconte Fabrice, touché par la grande précarité de ces jeunes. 

Les débuts d'Aux Vents et Marées

Sur la côte picarde, Fabrice possède une résidence secondaire à Mers-les-Bains, ravissante station balnéaire bordée de sublimes villas 1900 aux façades colorées. En 2022, il apprend qu’à Ault, sept kilomètres plus loin, le restaurant Aux Vents et Marées est à vendre. « Je m’étais toujours dit que s’il y avait un lieu à reprendre dans le coin, ce serait celui-là », confie-t-il. La rencontre avec les propriétaires est rapide, l’accord signé tout aussi vite. Pour constituer une trésorerie et financer une nouvelle cuisine, il commence modestement : uniquement des boissons. Mais les clients réclament aussitôt à manger. « On me demandait une salade de tomates, un œuf dur… alors que je n’avais qu’un micro-ondes et une plaque chauffante », raconte Fabrice. Il commence par deux ou trois assiettes simples, puis un plat du jour. Le bouche-à-oreille fait le reste. L’aventure Aux Vents et Marées peut commencer.

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Zéro routine, que de l’impro 

Et quelle aventure en effet. Ici, pas de carte figée, mais une cuisine de grand-mère 100% locavore, avec de bons petits plats réconfortants que l'on vient savourer lors d'un week-end à la mer. Chaque jour, Fabrice Bloch réécrit son menu selon ce que la criée et les producteurs de la région sont en mesure de lui fournir. « Si je ne change pas la carte quotidiennement, je m’ennuie », glisse-t-il. Le résultat ? Une « cuisine vintage, régressive, avec une touche d’originalité » entre fonds de sauce mijotés aux os de veau, poissons extra frais livrés directement par un bateau du port voisin, agneau des prés salés élevé à quelques kilomètres.

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    ©E.Laveran


Pour le bœuf, Fabrice travaille en direct avec un éleveur qui abat une bête tous les mois et demi : il reprend ce que les autres clients n’achètent pas, cœurs et bas morceaux qu’il transforme en bourguignons généreux. À Eu, il se fournit en fromages et volailles fermières ; dans la forêt voisine, auprès d’une chèvrerie ; et à Floques, un maraîcher lui livre ses cagettes de légumes. Ici, ce sont les produits – et non la carte – qui font la loi. Seul plat quasi indéboulonnable de la carte ? La raie à la grenobloise. « Parce qu’il y en a presque toujours… et que les clients adorent ça ».
 

Raie, lotte, cochon : le tiercé gagnant du 15 août

Dans l’assiette en ce jour d’Assomption (culinaire !), en entrée, des rillettes de raie maison relevées de citron et de ciboulette, escortées d’un pain de compétition. Nous avons eu ensuite l’honneur du dernier tronçon de lotte du jour, suivi d’une côte de cochon généreuse.

  • ©E.Laveran
    ©E.Laveran


Le poisson, pêché la veille, arrive ferme, parfaitement cuit, accompagné de légumes d’été rôtis, jus réduit et pointe de crème : un régal ! Même réussite pour le cochon, épais, rosé, juteux. Le dessert tient ses promesses : une tarte aux framboises réjouissante, pâte feuilletée maison ultra-craquante, chantilly montée minute et fruits éclatants. On termine avec un café bien serré, lunettes de soleil sur le nez pour profiter de la vue sur la mer en terrasse. What else ?
 

    Pratique

    Aux Vents et Marées

    Rilettes de poisson 7,80 € ; plats à partir de 17,50 € ; verre de vin 8 €

    1 Grande Rue, Ault
    + 33 (0) 3 22 30 17 42

    Du goût... et du sens

    Fabrice met un point d’honneur à faire travailler des personnes éloignées du marché du travail, y compris en salle. On prend donc son temps. Traduction : on ne vient pas ici pour avaler un plat servi en 5 minutes, sans non plus passer tout l’après-midi à table. L’objectif n’est pas de figurer en tête de gondole des guides gastro mais bien de faire du bon, du sain avec du sens. À noter : seul échoppe du coin à mitonner ses propres fonds de veau et dotée d’une terrasse canon, Aux Vents et Marées affiche souvent complet : pensez à réserver.

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