Granite, la pierre philosophale du jeune chef Tom Meyer
Le contexte : Déjeuner le lundi 29 novembre 2021, deux convives.
Le pitch | Le nouveau crack de l'écurie Manigold réussit son galop d'essai
On parle là du mercato le plus commenté de la rentrée gastronomique : le transfert de Tom Meyer, jeune poulain de chez Anne-Sophie Pic à Valence, vers le groupe parisien Éclore de Stéphane Manigold (Substance, Contraste, Liquide, Bistrot Flaubert, Maison Rostang), éleveur de chefs talentueux s'il en est.
Tom Meyer donc, virtuose des pianos et « bête à concours » (Trophée Masse, Taittinger et Bocuse d'Or), ouvre sa première table à la veille de ses 28 ans après un parcours académique sans faute ; et réussit l'exploit d'emporter à la fois l'adhésion de la critique comme de ses pairs... En quelques semaines à peine. Autant d'éléments qui en font déjà l'une des tables les plus courues de la saison.
À lire également Lire ici notre interview de Tom Meyer.
Dans l'assiette ? Complexité et virtuosité
La carte promettait dans son « préambule » (nouvelle marotte des jeunes chefs) : « La cuisine vous dévoilera des associations de goûts résolument contemporaines, percutantes et audacieuses ». Une fois n'est pas coutume, la promesse est tenue.
Lors de la dégustation, le menu en cinq étapes affichait d'emblée une « Huître n°2 de chez Giol, poire, épeautre soufflé, crème glacée champagne, cumin des prés, yaourt oseille et salicorne ». Une première entrée qui annonce la couleur et la saveur. Chez Tom Meyer, on est dans la profusion, la précision, l'infiniment petit et l'infiniment grand. En un mot, dans une sorte de pointillisme habile, une complexité qui sait ici intelligemment se faire oublier. Bref, une belle entrée en matière (si l'on fait abstraction de la crème un peu trop glacée pour des palais parisiens endormis).
« La coquille Saint-Jacques de la baie de Seine, voile de navet, bouillon berce et aneth, condiment pamplemousse » quant à elle, la joue solo certes, mais charme son monde de très belle manière. Parisianisme oblige, « le pigeon de Racan, millet soufflé, grué de cacao, brocoletti, curry vert, combawa » vole au-dessus du reste du menu. Cuisson parfaite, associations effectivement « résolument contemporaines » et très convaincantes pour qui fait l'effort de picorer dans tous les coins de l'assiette...
Après le fromage préparé — une révélation (cf « les plats à goûter ») — « Le Raisin » du chef pâtissier Anthony Chenoz (ex Lucas Carton), clôt ce menu de manière cohérente et harmonieuse, en faisant également la part belle aux textures et à la fraîcheur. L'intitulé exact le laisse d'ailleurs transparaître avant de l'avoir en bouche : «Fruits de la vigne au naturel, clafoutis vanillé, mousse de lait ribot miélée, croustillance de sarrasin, sorbet verjus ».
Mais aussi ? Une carte 100% éthique
À l'instar des autres jeunes chefs de sa génération, Tom Meyer est un cuisinier engagé sélectionnant les produits et les producteurs avec lesquels il travaille selon des considérations qui dépassent la seule qualité intrinsèque des produits. En effet, il prône le locavorisme (sans fanatisme et avec quelques incursions jurassiennes, bien sûr) et le respect de la terre et des humains qui la travaillent. Un engagement qui dépasse le simple air du temps pour celui qui vient d'un terroir exigeant.
Dans la salle ? Épure contemporaine pour discussions feutrées
Tom Meyer et Stéphane Manigold ont fait appel à l'architecte Michel Amar pour repenser ce qui fut autrefois le Spring de Daniel Rose, une petite gloire en son temps. Si l'on reconnaît les volumes bien sûr, l'atmosphère est totalement différente. Le jour et la nuit. Une autre époque aussi, aux Halles redevenues gastronomiquement très fréquentables. L'espace ainsi revu et corrigé est à la fois lumineux et chaleureux, sans que le décor ne prenne jamais le dessus sur l'essentiel : la cuisine (ouverte) et l'assiette. Car, l'architecte l'a compris, on vient chez Granite pour voir des virtuoses en action.
Le service ? Comme à Copenhague
Très impressionné par le service « luxe décontracté » du Geranium à Copenhague, le chef — épaulé par sa directrice de salle Marylou Contreras (ex La Vague d'Or à Saint-Tropez) — souhaite le reproduire chez Granite. Soit un service doux et amical, mais sans jamais être familier. Et il est vrai que le ballet est plaisant et que la symbiose entre la cuisine et la salle semble réelle.
Les plats à goûter ?
Le menu Quartz est franchement une très belle entrée en matière pour appréhender la cuisine du chef, même si de l'avis critique général le « gnocchi » du menu Granite (cœur coulant de coquillages, fenouil, coriandre vietnamienne) est la quintessence du style Meyer.
Un conseil pour les amateurs de fromage : ne faites surtout pas l'impasse ! Le chef «cuisine » le fromage et c'est suffisamment rare — et en l'occurrence réussi -—pour être testé et approuvé. Ce jour-là, le « Brillat truffé, gelée de Whisky Nikka, praliné amande » était tout un poème.
Bon à savoir ?
L'adresse se dévoile tel un triptyque. Ou, pour le dire de manière plus prosaïque, tel un triplex avec trois salles (et trois ambiances). Au rez-de-chaussée, la table contemporaine, ouverte sur la cuisine laboratoire du chef. Juste en dessous, un bel espace, face pâtisserie. Plus bas encore, la cave, dont seuls les amateurs éclairés pourront percer le secret... Et espérer jeter un œil aux pépites du chef sommelier Julien Mascarell (ex George V et Virtus), très porté sur les « champagnes de vignerons et les vins humains ».
Les prix ?
- Menu déjeuner (entrée/plat/dessert) à 58€ ;
- Menu Quartz en 5 étapes à 95€ (accord mets-vins à 55€) ;
- Menu Granite en 7 étapes à 125€ (accord mets-vins à 75€ et supplément fromage à 12€).
Notre avis en un clin d’œil
Tom Meyer mérite toutes les louanges qu'il reçoit. C'est une très belle ouverture. Le chef signe des assiettes splendides, d'apparence classique mais qui surprennent à chaque fois. Contenu/contenants, cuisine/salle, tout fonctionne au diapason. À tel point qu'on en serait presque à souhaiter un peu moins de perfection. Car, si la complexité ravit les palais aguerris, elle peut dérouter les novices en quête d'émotion plus immédiate. Pour autant, Granite imprime sa marque et sa personnalité dans le ciel parisien, qu'il devrait sans nul doute faire briller d'une étoile de plus très prochainement.
Granite
6 Rue Bailleul, Paris 1er
Ouvert du lundi au vendredi
Au déjeuner de 12h30 à 13h30
Au dîner de 19h30 à 21h30
Site Web de Granite | Instagram
Lire ici notre interview de Tom Meyer.