
Notre avis sur Le Doyenné, le restaurant « du potager à la table » de James Henry
Courronné « meilleure table » du guide Fooding 2023 et propulsé en juin 2025 au 77e rang du classement The World's 50 Best Restaurants (palmarès contesté où manquent Yannick Alléno, Ducasse et Glenn Viel, pour ne citer que quelques absents de marque), le Doyenné est surtout le projet d’une vie de deux Australiens pionniers et visionnaires. Ne cherchez plus la destination de votre prochain weekend proche de paris, on a déniché, testé et largement approuvé cette pépite pour vous. Compte-rendu d’une visite ensoleillée au Doyenné, à Saint-Vrain, et entretien avec le chef James Henry.
-
S’évader au Doyenné, à Saint-Vrain ©EmmanuelLaveran
Naissance d’une âme du pionnier
Né en Australie, à Canberra, mais fort d’une enfance passée entre Paris, Riyad et San Francisco, James garde en mémoire l’expérience des repas médiocres avalés à la cantine. Très tôt, il comprend que bien manger figure en tête de ses priorités. À la fin du lycée, avant de choisir définitivement sa voie, il s’offre une parenthèse en travaillant dans une ferme d’élevage intensif au nord de l’Australie. « Ils ne pratiquaient pas vraiment les méthodes d’une agriculture vertueuse » sourit-il. « On bossait 60 ou 80 jours de suite, sans coupure. On commençait les journées à 4h30 du matin pour finir après 19 heures. Parfois, on installait 10 km de barrières en un jour, à creuser des trous dans le sol, planter des piquets, c’était physique. L’exploitation s’étendait sur plus de 500 000 hectares.Le premier village était à 350 kilomètres, il fallait être totalement autosuffisant. J’y ai appris tous les métiers à la fois : cuisinier, mécanicien, plombier... On construisait les routes, on faisait tout nous-mêmes. Une expérience incroyable ».
-
James Henry ©EmmanuelLaveran
Apprendre en frappant aux portes
« Après 2 années passées dans cette exploitation, je me suis inscrit en fac de journalisme et j’ai commencé à travailler comme plongeur en parallèle dans un restaurant. La cuisine m’intéressait, alors j’ai acheté des livres, appris les bases et au fur et à mesure, on m’a intégré. En fait, j’ai été happé par la cuisine ! »
S’ensuit alors un apprentissage choisi. « Le mieux était de frapper aux portes des gens qui m’inspiraient, de leur demander du travail et de me former auprès d’eux. C’est ce que j’ai fait », notamment auprès d’Andrew McConnell, à Melbourne. Et puis ce fut le grand départ pour la France, avec plusieurs expériences remarquées dans les restaurants de Paris Spring, Au Passage et enfin Bones. Lorsque James quitte Au Passage pour ouvrir Bones, son premier « chez lui », c’est un ami australien, Shaun, qu’il sollicite pour prendre la relève en cuisine.
L’obsession du produit
Le trait d’union entre nos deux compères wallabies ? Une même obsession : les saisons, le local et surtout le produit.
« Les chefs accordent de la valeur à des choses différentes, certains sont attirés par la technique pure par exemple » confie James, « mais pour moi, on ne peut pas transformer quelque chose qui n’est pas cultivé ou élevé avec soin. Il y a cette relation évidente entre la qualité intrinsèque et l’écologie. Naturellement, plus tu apportes de soin à la terre, plus tu pratiques une pêche responsable ou tu élèves tes animaux de manière vertueuse, meilleurs sont tes résultats. La qualité d’un produit est directement liée au soin qu’on met à l’élever ou le récolter. Tu peux acheter un filet de poisson issu de la pêche industrielle, il sera certes moins cher, mais sa chair n’aura ni la texture ni la saveur de celui pêché de façon responsable. Les deux se ressemblent mais sont en fait deux choses très différentes. C’est une évidence. C’est pourquoi la seule manière de travailler, pour moi, passe par un sourcing intransigeant ».
-
©EmmanuelLaveran
L’envie de nature et les débuts au Doyenné
« Quand j’ai ouvert Bones, j’avais déjà envie de mener un projet différent, en dehors de la ville, avec une dimension agricole, proposer aussi des hébergements. Quand on a visité ce site avec Shaun en 2016, il fallait se projeter… mais le potentiel était là. »
« Fin 2017, nous avons planté un verger, à la force de nos bras : creuser les trous, mettre les arbres en terre. Nous avons aussi suivi chaque étape du chantier avec les architectes, choisi les sols, les matériaux des salles de bains, jusque dans le détail des prises électriques. Avec Shaun, nous nous sommes impliqués de A à Z, tout en lançant en parallèle l’exploitation agricole et la ferme. »
Un jardin d’Éden à Saint-Vrain
En parcourant les immenses jardins, on mesure le travail accompli : quatre personnes travaillent à temps plein en agriculture régénératrice, sous la houlette de Shaun, responsable de la ferme pendant que James gère les cuisines. D’immenses serres donnent vie aux pousses de centaines de végétaux différents. Dehors, des rangs de maïs rares côtoient le pourpier, les salades bien alignées regardent les pieds de tomates multicolores. Mûres, framboises, mirabelles, kiwis, fraises, courgettes et leurs fleurs, aubergines, plantes aromatiques en tout genre… des centaines de fruits et légumes s’épanouissent dans un paradis végétal, véritable jardin d’Eden. Même le grillage du court de tennis, flambant neuf, se voit envahi par les potirons. La médaille de l’Ordre du Mérite Agricole – et même la Légion d’honneur – devraient revenir à Shaun et James. En moins de dix ans, avec une vision claire, de la persévérance et une bonne dose de sagacité, ils ont bâti un univers, ouvert leur restaurant et créé la ferme qui l’approvisionne. En été, presque tous les végétaux qui passent en cuisine viennent directement du jardin.
L’expérience Le Doyenné lors d'un week-end proche de Paris
Au loin, un foyer crépite. De retour vers le restaurant, on découvre une demi-douzaine de canettes suspendues au-dessus des flammes. Leur chair fume lentement : la première cuisson s’amorce, deux heures avant le service du soir.
-
©EmmanuelLaveran
L’immense grange transformée en salle à manger s’ouvre sur les cultures grâce à une verrière courant sur toute sa longueur. La charpente de bois monumentale, seul élément d’origine, se dresse comme la nef d’une cathédrale du goût. En saison, la terrasse offre le plaisir de siroter un cocktail maison - eau de feuille de figuier du chef, sirop maison pomme-romarin en ce 7 août 2025 - en observant le soleil décliner.
On jette un coup d’œil aux chambres. Somptueuses, on n’en n’attendait pas moins. Le prototype de la chambre d’hôtes de charme. Objets chinés, déco dépouillée façon Milk magazine, design, chaleur du bois, fenêtres sur cour, poteries, bouquets de fleurs ou d’herbes, lits confortables, salles de bains parfaitement équipées… tous les hôtels 4 et 5 étoiles devraient être de ce niveau. Le Doyenné, ce lieu qui brille, respire, s’avère idéal pour chiller, profiter d’un weekend dans la nature, hors de la ville et pourtant si près.
Le règne du végétal
Le dîner gastronomique ? Enthousiasmant de bout en bout. La cuisine, ouverte sur la salle, dégage concentration et calme. James, au premier plan, assure les découpes et fignole ses dressages. À l’arrière, une dizaine de cordons-bleus s’affairent entre les cagettes de légumes, les plantes et les fruits en tout genre.
-
©EmmanuelLaveran
La table n’est certes pas végétarienne, mais c’est bien le légume qui s’impose comme la star des créations du chef. Le menu du soir, présenté en 5 temps, s’étale en fait en 9 services (135 €). Les premiers amuse-bouche rappellent que James et Shaun élèvent aussi une vingtaine de cochons, derrière le château, dans le bois, avec notamment une brioche surprise au boudin noir, issu de leur production. A suivre, « l’assiette de charcuteries » offre ce soir la meilleure version possible d’une guanciale (joue de cochon séchée), un succulent morceau de jambon cru et un savoureux lardo façon Colonnata, tous « maison » bien sûr.
-
©EmmanuelLaveran
Arrive le premier amuse-bouche cuisiné : une tranche d’encornet, farci de riz de Camargue, légumes et aromates du jardin, quelques feuilles de chou braisées. Juste raidi, le calamar est un modèle du genre, un amuse-gueule de haut vol, dantesque ! Pour finir les réjouissances d’avant-repas, une généreuse « assiette de crudités du jardin » illumine nos mines déjà ébahies et donne le ton du festival qui s’annonce. Il y a du Passard - ni plus ni moins - dans cette assiette qui ne dénoterait pas dans le 3 étoiles Michelin de la rue de Varenne.
Une feuille d’oseille bien verte sert d’écrin à une mûre flanquée d’un pistou de pistaches, déposée à côté d’une betterave fumée. Un demi mini-concombre se voit associé au fruit de la passion, un cornichon cueilli du jour au gingembre mioga et à l’amande fraîche… L’assiette de 6 ou 7 bouchées végétales, géniales, est un festival de couleurs, de saveurs et textures. La cuisine intuitive de James s’exprime à plein, dans une simplicité et une créativité désarmantes.
La première entrée en comporte en fait deux. Un fantastique bol de soupe de maïs, tomates et estragon du jardin. Une « salade d’été » toute en fraîcheur, gourmandise et croquant.
La seconde célèbre la sériole de petit bateau de Saint-Jean-de-Luz, cuisson modèle, trois variétés de haricots, pourpier, pommes de terre nouvelles du jardin, sauce soubise. Précision, finesse, délicatesse, sauce régressive et gourmande, l’assiette décline tout ce qu’on a envie de manger en été.
En guise de plat principal, deux morceaux de canette bien élevée au Pays basque - le filet et la cuisse, que l’on avait vus fumer plus tôt - s’invitent, escortés de mûres, d’une fleur de courgette farcie d’abats, d’une carotte cuite au foin enrobée de lard gras. Grand ! Cette protéine de compétition, à la texture exceptionnellement fondante et au goût fumé, appelle un rouge nature de Loire ou de Bourgogne… Moment hors du temps.
Deux desserts (du jardin) plus loin, on arrive au bout d’une expérience gastronomique assez unique dans le landerneau des établissements proches de Paris. Qui d’autre, à part Alain Passard dans ses jardins - et à des tarifs stratosphériques - sait nourrir ses clients des produits de sa terre, de sa ferme ? Qui d’autre, après avoir planté ses arbres et construit un restaurant de ses mains, découpe en fines lamelles le gingembre du Japon cueilli 30 minutes avant chaque service, afin de condimenter le riz camarguais bio et les légumes émincés qui farciront les calamars ?
Il fait si bon venir musarder ici, entre petits pois et poivrons, croquer dans un grain de raisin par-ci, goûter une fraise par-là, sachant que tous ces produits n’ont jamais connu le moindre pesticide.
-
©EmmanuelLaveran
Réservez une chambre en ligne dans cet hôtel en Ile-de-France, ajoutez deux repas — dîner, déjeuner, ou quand bon vous semble — et filez à Saint-Vrain : le succès, déjà planétaire, est au rendez-vous. Des Japonais aux Américains, en passant par les Allemands et les Belges, les clients affluent, attirés par la promesse d’un bonheur durable. Derrière le château où Nikki de Saint-Phalle et Jean Tinguely concevaient leurs œuvres monumentales, d’autres génies créatifs s’expriment, se révèlent aujourd’hui. Ces deux-là consacrent leur vie à répandre du bonheur, du bonheur, dans le pré.
Le Doyenné
Jeudi soir,
Vendredi, samedi et dimanche midi et soir
Menu Carte Blanche 135 €
Accords mets et vin 80 €
11 clés à partir de 290 €
5 rue Saint-Antoine, Saint-Vrain
+ 33 6 58 80 25 18