Mathieu BelayMathieu Belay, Le jeudi 06 avril 2017
Restaurants

Vienne : on a testé Steirereck, le meilleur restaurant d’Autriche

Au cœur d’un parc viennois, le chef autrichien Heinz Reitbauer pousse l’expérience gastronomique au plus haut niveau. On a déjeuné dans ce restaurant qui se classement parmi les meilleurs du monde. Découverte.
  • Architecture contemporaine pour le restaurant Steirereck, le 10ème meilleur restaurant du monde selon les
    Architecture contemporaine pour le restaurant Steirereck, le 10ème meilleur restaurant du monde selon les "World's 50 Best" © Steirereck GmbH
  • Cuisine ouverte... © Steirereck GmbH
    Cuisine ouverte... © Steirereck GmbH
  • ... et élégante salle à manger, lumineuse et intimiste, découpée en plusieurs branches s'avançant dans le parc © Steirereck GmbH
    ... et élégante salle à manger, lumineuse et intimiste, découpée en plusieurs branches s'avançant dans le parc © Steirereck GmbH
Chez Alain Chapel à Mionnay, Heinz Reibaueur découvrira l'obsession du produit, l'atmosphère unique d'un trois-étoiles, le souci de la perfection.

Le pitch : de l'affaire familiale à l'un des plus grands restaurants du monde

Deux étoiles Michelin, 4 toques et 19/20 dans le Gault&Millau et surtout une place parmi les dix meilleurs restaurants du monde, selon les World’s 50 Best, encore confirmée cette semaine à Melbourne à l’occasion de la présentation du millésime 2017 du classement. Voilà qui a de quoi intriguer, ni Vienne, ni l’Autriche n’ayant une véritable réputation gastronomique au-delà de ses spécialités traditionnelles (la Wienerschnitzel ou la Sachertorte).

Nous voici donc arrivés au cœur du Stadtpark viennois pour découvrir ce restaurant de renommée internationale. C'est ici qu'officie l'Autrichien Heinz Reitbauer, chef, propriétaire des lieux et artisan du succès de Steirereck. « Mes parents étaient déjà restaurateurs. Ils avaient un restaurant en Styrie [une région au Sud-Est de l’Autriche, NDLR] qu’ils ont transformé en table gastronomique puis ils ont eu l’opportunité de s’installer ici, à Vienne » explique-t-il en préambule, avant de revenir sur son apprentissage de jeune cuisinier en France. Aux côtés des plus grands, comme Alain Chapel à Mionnay où il découvrira l'obsession du produit, l'atmosphère unique d'un trois-étoiles, le souci de la perfection. « Je me suis retrouvé seul en charge des dessert à la carte après que le chef-pâtissier du restaurant se soit brûlé les deux mains. Comme j’étais Autrichien, Alain Chapel m’a dit : “Tu dois t’y connaître en pâtisserie" » rigole-t-il aujourd'hui. « Cela m’a permis de me faire reconnaître comme jeune chef. De gagner sa confiance. J’étais alors le seul de la brigade à ne pas être Français ou Japonais, il fallait que je fasse mes preuves » ajoute Heinz Reitbauer avant d’évoquer les influences de Michel Bras ou du chef suisse Anton Mosimann. Leur « cuisine naturelle » est celle dans laquelle il creusera lui-même son sillon. Après des années de vagabondages culinaires dans les plus grands restaurants d'Europe, le jeune homme finit par rentrer au bercail pour mettre son expertise au service d'une annexe du restaurant familial. « Le succès a été immédiat. En un an, l’équipe est passée de 5 à 50 employés ! On utilisait uniquement des produits de la région, présentés dans une carte courte. Cela était encore rare à l’époque, on a vite trouvé un public. »
 

Portrait du chef Heinz Reitbauer © Kanizaj Marija / Steirereck GmbH

 

Puis vient le moment - en 2005 - où le jeune prodige prend le contrôle du fleuron familial, au cœur de la capitale autrichienne. Avec un enjeu considérable. Succéder au chef historique Helmut Österreicher, alors couronné de quatre toques par le Gault&Millau et considéré comme l’un des meilleurs cuisiniers du pays. « Nous avons commencé à cuisiner ensemble, en binôme, dans l'idée d'assurer une transition en douceur. Mais cela n’a pas fonctionné. La nouveauté et le succès lui ont peut-être fait peur. Après seulement quatre mois, je me suis retrouvé seul aux commandes. J'ai pu développer ma cuisine et j’ai revu entièrement l’approvisionnement pour me concentrer uniquement sur des produits locaux. Des poissons de lacs autrichiens plutôt que du turbot importé, de la viande d'éleveurs locaux pour remplacer fournisseurs des quatre coins de l'Europe.  ». Douze ans plus tard, Heinz Reitbauer a plus que réussi son pari : faire prospérer le business familial, créé il y a près d’un demi-siècle, et imprimer sa marque en tant que chef. Au point de hisser son restaurant parmi les plus respectés au monde.

  • Le service de l'omble, délicatement plongé dans une enveloppe de cire chaude © YONDER.fr
  • L'omble cuit à la cire, une fois l'assiette dressée © Steirereck GmbH (photo non prise durant le déjeuner)

 

Les cartes descriptives accompagnant chaque plats attestent de la création de plus d’un milliers de recettes en une décennie.

 

Dans l’assiette

« La cuisine n’a guère changé depuis 2005. Le produit et la nature sont au centre de tout ce que nous faisons depuis le début » nous dit du bout des lèvres, Heinz Reitbauer, peu enclin à disserter sur le contenu de ses assiettes. Pourtant, en coulisses, le patron des lieux est prolifique. Les petites cartes descriptives accompagnant chaque plats (on reparle un peu plus bas de cette idée brillante) attestent de la création de plus d’un milliers de recettes en une décennie. Soit plus de sept plats créés chaque mois en moyenne ! Notre déjeuner dégustation permet d’avoir un aperçu de ce foisonnement créatif quasi sans limites. L’un des moments les plus marquants de cette cuisine centrée sur le produit, sophistiquée sans être prétentieuse ? Le filet d'omble cuit devant le regard ébahi des hôtes du restaurant, plongé dans une cire chaude à 85° ! Huit minutes plus tard, le liquide doré a refroidi, emprisonnant la chair de poisson dans une coque solide. Un aller-retour en cuisine et revoici l’omble dressé, prêt à être dégusté, cuit à la perfection, délicatement accompagné de carottes jaunes, de pollen et d’une crème légère.

Les intérieurs élégants du restaurant Steirereck © Steirereck GmbH

 

À tous les niveaux, on est bluffés. Ce coup de maître audacieux, réalisé en début de repas, se révèle toutefois à double tranchant. Il émerveille autant qu’il ne renforce le désir pour la suite, quitte à créer des attentes irréalistes pour la suite des évènements. La réponse ne tarde pas à venir grâce au registre étendu du chef. Certes, toutes les assiettes ne sont pas aussi pertinentes (ce qui explique peut-être pourquoi le restaurant n’a pas encore décroché la troisième étoile qu'il tutoie) que cette fulgurance initiale mais la tension est maintenue tout au long du déjeuner. Des assiettes végétariennes, on retiendra plutôt les merveilleuses courgettes, épeautre, fleur d’oranger, pistache et jaune d’œuf plutôt que cette association déroutante puntarella-khaki ou les salsifis, associés à la noix de coco et à la truffe du Périgord. Certaines harmonies fonctionnent indiscutablement mieux que d’autres. Même constat sur les viandes où un pigeon (panais, navet, orange, clou de girofle), préparé comme un plat oriental, atteint des sommets de gourmandise et de finesse alors que la cervelle d’agneau, toute aussi parfaitement exécutée techniquement parlant, ne parvient pas à créer la même émotion. En déployant son inventivité à travers autant de plats, de produits, de recettes et d'associations de saveurs, Heinz Reitbauer prend évidemment des risques. Et tant pis, si cela l’amène à livrer une ou deux assiettes plus faibles, le ressenti général est à la hauteur des espérances. Celles de cette 10ème place mondiale dans le classement 50 Best. Mais aussi celles suscitées par cette spectaculaire cuisson à la cire en début de repas.

  • Cervelle d'agneau, salsifis, sarrasin croustillant, pickles © YONDER.fr
  • Service de l'esturgeon, le second plat de poisson du déjeuner © YONDER.fr

 

Le service, parfaitement moderne, d'une rare élégance, vient compléter ce triptyque séparant les grands restaurants des tables d'exception.

 

Dans la salle

Pour qui est sensible à l’architecture et au design contemporain, Steirereck s’avère offrir l’un des plus beaux cadres de restaurant urbain au monde. En 2014, le studio d’architecture PPAG a ouvert le lieu en direction de l’extérieur. Le parc se reflète dans les façades extérieures en métal et en verre, permettant au à l'édifice de se confondre dans son environnement extérieur. À l’intérieur, le minimalisme apparent dévoile un lieu baigné de lumière naturelle où les arts de la table sont sublimés avec sobriété. Tout ceci est extrêmement bien fait, permettant de profiter de conditions de dégustation optimales.

Le service

Si Steirereck a réussi à se hisser parmi la liste des restaurants les plus réputés au monde, c’est parce qu’il réussit à ancrer, au plus haut niveau, l’expérience fine dining dans son époque. Dans les tous les registres. La cuisine et le décor ont déjà été évoqués plus haut. Le service, parfaitement moderne, d’une rare élégance, vient compléter ce triptyque séparant les grands restaurants des tables d'exception.

On pourrait discourir sur la précision des gestes réalisés en salle, la grâce des équipes ou le tempo impeccable qui placent déjà la barre très haut. On préférera illustrer ce sens du détail à travers un point spécifique. Alors que chaque plat est amené, une petite carte est discrètement déposée sur la table. Elle précise l’intitulé du plat, la manière dont il a été préparé ainsi que des détails sur les ingrédients locaux. On pourrait y voir un simple gimmick de communication, une façon de se démarquer des autres. La raison vient pourtant de beaucoup plus loin. Heinz Reitbauer s'explique : « Le récit d’un dîner, dans un grand restaurant français, par un journaliste m'a interpellé. Il y racontait retrouver un ami qu’il n’avait pas vu depuis très longtemps, vouloir profiter du moment pour discuter mais ils étaient sans cesse interrompus par les explications du maître d’hôtel, du sommelier, des serveurs. Ce qui est normal, un restaurant gastronomique est dans une logique de démonstration. En tant que restaurateurs, nous souhaitons montrer le meilleur de nous-mêmes en permanence. Mais tant que clients, il est légitime de pouvoir dîner sans être interrompu. Ces cartes sont là pour ça. Pour éviter de casser le rythme que chacun souhaite apporter à son repas ». En tant que telle, cette idée astucieuse ne révolutionne pas le repas. Mais en permettant au service de s’effacer derrière l’intimité du moment, elle permet de franchir un cap dans la science du service.

  • La salle à manger du restaurant, avec vue sur le parc © Steirereck GmbH
  • Détail de décoration © Steirereck GmbH

 

 

L’addition

Menus dégustation en six ou sept services à respectivement 142 et 152€.  Ajoutez 79 ou 89€ pour l’accord mets-vins associés (un verre par plat, attention aux excès !). Au déjeuner, menus en 4 ou 5 services à 95 et 105€. Pour déjeuner ou dîner dans un restaurant d’une telle qualité, voilà qui n’a rien d’excessif,. La carte permet même de goûter la cuisine d’Heinz Reitbauer avec un budget plus serré : entrées autour de 30€ et plats ne dépassant jamais la barre des 45€. C’est également une occasion de découvrir quelques classiques viennois – comme la célébrissime Wienerschnitzel à 32€-  revisités par le chef le plus respecté de son pays.

Ce qu’il faut retenir

Commençons par répondre à la question qui brûle les lèvres de tous : est-ce que Steirereck mérite sa 10ème place de meilleur restaurant du monde ? Y mange-t-on mieux que dans toutes les tables françaises triplement étoilées, souvent absentes ce même classement ? Peut-être pas. Mais au fond, peu importe. Steirereck, grâce au talent de son chef Heinz Reitbauer, parvient non seulement à créer une expérience gastronomique mémorable mais à surtout l’inscrire, au plus haut niveau, dans son environnement (époque, géographie, culture), comme aucune autre table à des centaines de kilomètres à la ronde. En ce sens, Steirereck mérite bel et bien les éloges que lui réserve l’intégralité des guides et classements.

En résumé, si vous passez à Vienne et que vous aimez les belles tables, vous pouvez réservez les yeux fermés, vous ne le regretterez pas. Nos lecteurs les plus férus de grande table pourront même faire le déplacement jusqu’à Vienne dans l’unique but d’y déjeuner ou d’y dîner. Steirereck le mérite amplement.

Envie de découvrir une autre table d'exception, hors de France ? 

(Re)lisez notre article "Ultraviolet, l’extraordinaire restaurant de Paul Pairet à Shanghai"

Pratique

Steirereck im Stadtpark

Am Heumarkt 2a
1030 Vienne, Autriche

Horaires
Ouvert du lundi au vendredi, au déjeuner et au dîner.

Informations et réservations
Téléphone : +43 1 7133168
Site Web de Steirereck Restaurant