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Pierre GuntherPierre Gunther, Le vendredi 14 janvier 2022
Grand angle

La Folie Douce : retour sur une "success story" au sommet

Fondée en 1974 en haut du téléphérique de la Daille à Val d’Isère, La Folie Douce est bien plus qu’un club à ciel ouvert. Aventure entrepreneuriale, gastronomique et familiale, retour sur un succès au sommet.
  • Clubbing à la Folie Douce Val d'Isère © La Folie Douce
    Clubbing à la Folie Douce Val d'Isère © La Folie Douce
  • La terrasse de La Fruitière à Val d'Isère © La Folie Douce
    La terrasse de La Fruitière à Val d'Isère © La Folie Douce
D’un simple self, l’adresse prend de l’ampleur dans les années 1980 lorsque la maman de Luc, « Momone », prend sa retraite et vient l’aider en cuisine.

C’est après un dîner avec Artur, le fils aîné de la famille Reversade, une rencontre furtive avec Luc, le patron et fondateur de La Folie Douce, et un déjeuner entouré de l’équipe de Val d’Isère, où le nouveau concept de restaurant italien Cucùcina vient d'ouvrir, que l’on mesure l’ampleur du projet. « Il faut arrêter de penser que La Folie Douce est une boîte de nuit, c’est autre chose » selon Guillaume Villibord, maire de Peisey-Nancroix, qui partage avec Les Arcs le domaine skiable où s’est installée la dernière Folie Douce en 2019. La bienveillance et l’esprit familial règnent parmi les 140 employés de Val d’Isère, sans oublier une bonne dose d’exigence et de travail. 

 

Une saga familiale qui se réinvente sans cesse

« Notre maître-mot, c’est toujours la créativité » explique Luc Reversade. Il en a fallu pour transformer le refuge du téléphérique de la Daille en aimant à fêtards et gourmands. Créé en 1969, l’établissement est racheté en 1974 par Luc Reversade, déjà propriétaire du restaurant La Petite Folie dans le village. « À ses débuts, c'était une petite auberge dans la montagne où il n'y avait pas d'eau, pas de toilettes. J'avais envie de m'installer en altitude ». D’un simple self, l’adresse prend de l’ampleur dans les années 1980 lorsque la maman de Luc, « Momone », prend sa retraite et vient l’aider en cuisine. En 1994, un second restaurant, la Fruitière ouvre avec service à table. « J'habitais Autrans dans le Vercors quand j’étais gamin, et dans le Vercors il y avait beaucoup de fruitières, c'est quelque chose que je connais bien ».

Les Alpes françaises arrivent à maturité pour le groupe, qui prévoit des ouvertures en Suisse (Verbier), en Italie, en Autriche et regarde jusqu’aux États-Unis.

Encore aujourd’hui, La Folie Douce reste une entreprise familiale. Luc, le père, toujours présent en haut pour veiller à la bonne marche et à l’identité de son concept. Corinne sa femme, travailleuse de l’ombre gère les soucis du quotidien. Leurs deux enfants, Artur et César, qui tiennent l’affaire des Arcs et l’hôtel de Chamonix, résultat d’un mariage entre la famille Reversade, où Artur pilote l’établissement avec son associé Matthieu Evrard et Les Hôtels Très Particuliers. Tandis que l’été, les salariés à l’année se réunissent dans la propriété des Reversade à Talloires au bord du lac d’Annecy — « l’ambiance est bon enfant, il n’est pas rare de voir Corinne nager dans le lac » souligne Mélanie Ceysson, responsable commercialisation du groupe qui connaît la famille depuis quinze ans —, la tribu s’agrandit chaque hiver. Ce sont 140 saisonniers qui travaillent à Val d’Isère, 700 dans tous les établissements estampillés Folie Douce : artistes et artisans, menuisiers, fromagers, danseurs et chanteurs, musiciens et cuisiniers, vidéastes et barmans.

Certains font partie des meubles. Kely Starlight, directeur artistique haut en couleur de la Folie Douce, anime le clubbing après-ski depuis plus de vingt ans, François, à la logistique du bar, depuis dix-huit ans, Mike en salle depuis dix-sept ans. Avant le Covid, près de 70% des saisonniers revenaient d’année en année. Seulement 10% pour cette saison 2021, ce qui a obligé le groupe à trouver des stratégies pour faire rester les nouveaux (mentorat, partenariats avec des chefs étoilés en cuisine, formations à la prise de parole, etc.).

 

Tout ce travail paie. En 2009, La Folie Douce ouvre en franchise à Val Thorens, suivie de Méribel, l’Alpe d’Huez, Megève/Saint-Gervais, Avoriaz et finalement les Arcs en 2019, en main propre. Un hôtel, projet impulsé par Artur Reversade, ouvre à Chamonix en 2018 à la suite d’un projet avorté à Val d’Isère, et décline la folie des montagnes dans un concept d'hébergement hybride, entre l'auberge de jeunesse nouvelle génération et l'hôtel quatre étoiles. D’autres projets hôteliers sont d’ailleurs en cours. Quant aux Folies Douces sur les pistes, la recette est simple nous explique-t-on : une station d’au moins 30,000 lits, 120 jours d’exploitation par an et un lieu ensoleillé sans trop de voisinage. À part La Plagne, les Alpes françaises arrivent à maturité pour le groupe, qui prévoit des ouvertures en Suisse (Verbier), en Italie, en Autriche et regarde jusqu’aux États-Unis.

La température parfois polaire oblige à une logistique bien rodée.

Le plus haut cabaret du monde

Tous l’après-midi et en début de soirée, ce sont des chanteurs, artistes, danseurs, acrobates, musiciens et DJs qui font le show sur le bar, parmi la foule ou dans les airs, et donnent à La Folie Douce cet air unique de cabaret. Chaque saison se prépare huit mois à l’avance par l’audition des nouveaux artistes, la définition des tableaux et les répétitions. Les artistes se produisent aussi en été lors de différents événements, comme l’inauguration de la Samaritaine en juin 2021. « Il n'y a pas de rapport scène / spectateur, il y a toujours cette notion d'interactivité et de proximité du public qui n'existe nulle part ailleurs. C’est assez déroutant pour les artistes, et pour les clients c’est tout à fait attractif » selon Kely Starlight, qui anime les shows depuis plus de vingt ans à Val d’Isère.

  • © Folie Douce Val d'Isère
  • © Folie Douce Val d'Isère

 

S’inspirant des après-skis à l’autrichienne et des shows en plein air dans les boîtes de nuit d’Ibiza, les après-midis et soirées festives débutent en 2007 à La Folie Douce Val d’Isère, et les spectacles trois ans plus tard. « On est allés voir le lancement du Lío à Ibiza. On a vu le chorégraphe, on a dit qu'on allait le faire en montagne. Il a pris peur pour le froid, mais nous on a continué. On a pris un chorégraphe russe qui n'avait pas peur du froid ! » explique Luc Reversade. En effet, la température parfois polaire oblige à une logistique bien rodée. Les artistes sont équipés des mêmes collants thermiques que les patineurs artistiques, et se relaient pour ne pas rester plus de six minutes sur scène avant d’aller se réchauffer dans les loges. Les enceintes sont tropicalisées et résistent jusqu’à -50°C. Au-delà du spectacle, c’est la logistique du bar qui pose parfois problème. Les tireuses à bière qui gèlent, les bouteilles qui explosent, l’évacuation à ski des usagers lorsque la télécabine ferme à cause du vent…

Cette année, plusieurs chefs étoilés viendront quelques jours en cuisine à 2,400 mètres d’altitude.

La gastronomie au cœur de l’identité Folie Douce

L’autre défi se trouve dans les immenses sous-sols, dans les coulisses des restaurants, des espaces de stockages de denrées alimentaires et des quais de déchargement des produits frais, qui montent en télécabine. La Petite Cuisine, premier restaurant historique de La Folie Douce et self de qualité, sert à elle seule 1,200 couverts par jour. Sans compter La Fruitière, le restaurant de montagne moderne et locavore, le concept des trois caves — à vin, à fromage et à cigares —, le Butcher, où burgers et grillades se mangent sur le pouce, et le restaurant italien haut de gamme, Cucùcina, ouvert en décembre 2021 sous une immense hauteur sous plafond, où pizza à la truffe et côte de veau à la milanaise se dégustent face au Mont Blanc. Sans compter le nouveau concept de bocaux créé pendant le confinement et les épiceries dans les stations. 

  • Le menu locavore de La Fruitière © PG|YONDER.fr
  • Cucùcina Val d'Isère © PG|YONDER.fr

 

Ce n’est pas un hasard si la gastronomie est au cœur de l’identité Folie Douce. Luc Reversade a fait l’école hôtelière de Grenoble et a passé du temps dans les cuisines de Paul Bocuse. « Il a fallu s’adosser à de grands chefs pour avoir une expertise. On ne peut pas s’amuser si on a mal mangé » selon le patron, qui s’est allié depuis 12 ans à Frank Mischler, chef exécutif depuis 12 ans, fils de Fernand Mischler, doublement étoilé en Alsace à l’Auberge du Cheval Blanc, à qui il avait succédé. Particulièrement attentif à la provenance des produits, le chef s'approvisionne en priorité dans la région : fromages de Pierre Gay, MOF Fromager, bœuf issu d'élevages de Rhône-Alpes, crèmerie de la Ferme de l'Adroit, pain de Patrick Chevallot... tout est décrit par le menu sur la première page de la carte.

Cette année, plusieurs chefs étoilés viendront quelques jours en cuisine à 2,400 mètres d’altitude pour souder les troupes et apporter leur expérience à la nouvelle équipe. Frank Mischler lui-même se rend les étés à la Mère Brazier de Mathieu Vianney, deux étoiles Michelin à Lyon. Et comme sept concepts gastronomiques ne sont pas assez pour les Reversade, un food court sera inauguré à l’horizon 2023 dans l’ancienne gare du téléphérique attenant. L'histoire de la Folie Douce continue de s'écrire saison après saison.

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