Freia enchante la scène culinaire nantaise

Brutalisme poétique 

Hors Starck avec sa Maison Heler à Metz, difficile d'imaginer plus incongru comme lieu pour ouvrir un restaurant à Nantes. Et, pourtant... C'est au sixième étage d’un parking, en face de la gare, que Sarah Mainguy a installé son nouveau projet : Freia. Dit comme cela, on a peine à imaginer ce qui a pu pousser cette jeune cheffe engagée à s'installer là. Tout doute s'efface pourtant quand, une fois que les portes de l'ascenseur s'ouvrent, on découvre la beauté des lieux et le contraste saisissant qu'ils offrent avec le paysage urbain environnant. 

Le restaurant posé là comme une chimère, une bâtisse tout en bois clair et verrières, entourée de son jardin, rempli d’herbes aromatiques et médicinales, de petits fruits, de quelques légumes et graminées : avoine, sarrasin, cassis, coriandre, sureau, capucine mais aussi menthe, hysope et bien plus … Une serre restaurant avec vue plongeante sur la ville ! Le charme opère déjà. 

Il se poursuit à l'intérieur, où on est d'abord frappé par la hauteur sous plafond, l'incroyable luminosité offerte par les grandes verrières, l'omniprésence de bois clair et un sentiment de calme et de sérénité immédiats. Un minimalisme qui fait penser à la fois au Japon et à la Scandinavie. Et ce n'est pas un hasard, puisque ce sont les deux sources d'inspiration principales de la cheffe, qui a justement décidé de nommer ce nouveau restaurant Freia (francisation de Freyja), la déesse nordique de la Terre et de la fertilité.

Sarah Mainguy, une cheffe guidée par la nature

Si la cheffe revendique ces inspirations étrangères, elle n'en est pas moins complètement ancrée dans son territoire. D'ailleurs chez Freia « c'est la nature qui guide le menu et pas l'inverse ». La nature telle qu'elle s'offre à Alice Menard, la maraîchère complice sur ce projet. À elles deux, mais aussi avec les autres fournisseurs de la région impliqués dans la même démarche, elle inventent un menu qui varie au gré des saisons et se décompose en « espaces comestibles ». Ce que la cheffe et son équipe expliquent ainsi : « Au-delà du produit en lui-même, ce qui nous intéresse, c’est le lieu d'où il vient. Nous approfondissons chaque espace pour que vous puissiez vous promener avec nous tout au long du repas. Nous sommes toujours à la recherche de nouveautés, de nouveaux goûts et de nouvelles techniques dans le but de vous surprendre ». 
 

Effectivement, même si le menu automne n'est pas, selon Sarah, le plus "végétal-radical", il réserve son lot de surprises gustatives et pas mal d'émotions. 

Ce soir-là, sous un ciel splendide, strié de rose et d'azur, la « balade » en 8 temps a débuté par le « Bord de Mer », avec trois propositions iodées. La première autour d'un poisson blanc, crème de cocos de Paimpol et bisque de crabe. Douce et puissante à la fois. La seconde - plutôt osée - associant encornets, beurre blanc, huile de feuilles de figuier, chou fermenté et chapelure de pain au levain. La troisième, notre coup de cœur : « Tarte tarama d'algue dulse fumée, beurre d'anchois, herbes maritimes, moules, sauce persil, jus de moules et huile de persil ». L'iode de plein fouet. Déjà on comprend les marqueurs de la cuisine de la cheffe : associations qui tranchent, fermentations, anti-gaspillage, volonté d'utiliser tous les produits et pas uniquement les plus nobles, étoile Michelin ou pas. Mais avec des techniques et une maîtrise des cuissons qui ne laissent aucun doute sur le niveau. 

Pour la promenade dans les « Sous-bois », on croit revenir à plus classique avec un pigeon de Mesquer, mais pas du tout. Cuit au barbecue, servi avec un condiment prunes, blette et herbes sauvages, anguille fumée et jus de pigeon, ainsi qu'un satellite bouillon de champignons menthe poivrée ; ça fuse de toutes parts. Sans compter qu'il est servi avec sa patte ! Très joli plat. Les deux propositions suivantes, autour des cèpes et de la polenta, sont un peu en deçà, en comparaison, même s'ils sont fort bons. Quant aux desserts, s'ils sont créatifs et gourmands, ils gagneraient à être plus épurés, surtout en fin de repas. 

La traversée de ces espaces comestibles est un ravissement de bout en bout, même si comme pour chaque voyage, certains paysages plaisent plus que d'autres et c'est bien naturel. En tout cas, on salue la créativité et l'engagement d'une cheffe inspirée. 

Au déjeuner, menu en 4 temps, 50€, en 6 temps 70 €. Au dîner, menu en 6 temps, 80 €, en 8 temps 120 €. Possibilité d'accords, avec ou sans alcool. 
 

Ce qu'il faut retenir ? 

Avec Freia, la cheffe Sarah Mainguy s'affranchit complètement des carcans classiques et affirme une belle personnalité, comme une grande créativité. Si certains ont pu lui reprocher un côté trop expérimental, Yonder loue au contraire ce côté avant-garde et encourage le farm to table sincère et authentique qu'elle prône. En un mot, une cheffe contemporaine, comme on aimerait en croiser plus souvent. Nantes a de la chance.

Freia
22 boulevard de Berlin, Nantes
Du mardi au samedi soir de 19h à 21h30
Le mercredi, jeudi et vendredi midi de 12h à 13h30
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