Interview d'Alice et Jérome Tourbier propriétaires des hôtels Les Sources, 5 étoiles, restaurants et spa Caudalie dans les vignobles

Les Sources est une collection d’hôtels 5 étoiles avec pour l’instant deux établissements nichés au cœur des vignobles bordelais et ligériens. Aménagés dans d’anciens châteaux viticoles et pensés comme des maisons de famille, les lieux conjuguent raffinement, hospitalité et art de vivre à la française, avec une attention particulière portée au bien-être et à l’œnotourisme. À leur tête, un couple de passionnés : Jérôme et Alice Tourbier. 

Près de Bordeaux, Les Sources de Caudalie, installées au cœur du domaine du Château Smith Haut Lafitte, ont été le point de départ de l’aventure. Labellisé palace depuis 2016 et éco-responsable, l’établissement incarne à lui seul la philosophie du groupe. Plus récemment et plus proche de Paris, c’est dans le Val de Loire que Les Sources de Cheverny ont vu le jour, une adresse intimiste de 49 chambres et suites, avec spa by Caudalie et panorama sur les vignes. La collection ne cesse de s’étoffer : d’ici deux ans, deux nouvelles destinations viendront enrichir l’offre — Les Sources de Vougeot en Bourgogne, puis une adresse en Alsace, à Rouffach.

YONDER : Pouvez-vous nous raconter vos débuts dans l’hôtellerie ? 

Les Sources de Caudalie sont d’abord nées d’un projet familial, avec l’ambition de créer une véritable vitrine pour le vin. Dès 1992, le Château Smith Haut Lafitte a été l’un des premiers crus classés de Bordeaux à ouvrir ses portes aux visiteurs. La qualité des vins a été profondément repensée et nettement améliorée.

Dans cette dynamique, les 29 premières chambres ont été imaginées pour accueillir les amateurs venus déguster sur place. L’idée ? Leur permettre de ressentir plus directement l’évolution du domaine, tout en les transformant en ambassadeurs du savoir-faire maison. Ce qui fait notre singularité, c’est de réunir sous une même entité trois métiers habituellement distincts : l’hôtellerie 5 étoiles, le spa vinothérapie et la gastronomie. De combiner 3 métiers bien distincts, en somme.

YONDER : Le spa faisait-il partie du projet dès le départ ?

En 1996, un sourcier est venu sur place et nous a annoncé qu’il y avait de l’eau à proximité. Effectivement, à 500 mètres, nous avons découvert une eau naturellement chaude, que nous réchauffons légèrement de 2°C. Elle est tellement pure que, pour l’anecdote, on pourrait la mettre directement en bouteille. À l’origine, le spa tenait davantage de la thalassothérapie puis les soins ont évolué vers le bien-être et l’anti-âge. Aujourd’hui, chaque spa s’inspire de son environnement. Nous tenons à ce que chacun possède sa propre identité, en harmonie avec son terroir. Le spa de Vougeot, par exemple, n’aura pas le même look que celui de Cheverny, tout en respectant les mêmes protocoles de soins et en utilisant les produits développés en partenariat avec Caudalie.

YONDER : Le vignoble est-il encore géré par une partie de la famille ?

Nous avons tous deux obtenu notre diplôme en œnologie, ce qui nous permet de dialoguer avec les vignerons, de faciliter les achats et de mieux comprendre les enjeux du monde viticole. Mais nous ne sommes pas viticulteurs nous-mêmes.

À Bordeaux, nous sommes entourés de voisins qui font du très bon travail. Dans la Loire, nous possédons 7 hectares de Romorantin, un cépage rare, dont la culture est confiée aux fermiers du Domaine Tessier, engagés dans une démarche bio et qualitative. En Alsace, nous collaborons avec Véronique et son frère Thomas Muré, l’une des deux dernières familles de vignerons à Rouffach. Ensemble, nous y produirons un vin blanc d’assemblage, selon la méthode bordelaise, à base de pinot blanc et de pinot noir, sur 5 hectares.

YONDER : Et côté gastronomie ? Aviez-vous l’ambition de décrocher des étoiles dès le départ ?

Dès les prémices du projet, nous savions qu’il fallait une table gastronomique et une autre bistronomique. Grâce à notre chef Nicolas Masse et aux équipes de restauration, on s’est améliorés peu à peu pour enfin prétendre aux trois étoiles.

Ce que nous avons compris au fil des années, c’est que Nicolas n’a jamais eu peur de la simplicité. Aujourd’hui, quinze ans après son arrivée, cette philosophie est plus vraie que jamais. Son crédo est « aller à l’essentiel », il privilégie les produits bruts, souvent en monoproduit, et propose de moins en moins de protéines animales.

Si notre restaurant a obtenu une première étoile en 2010 puis une deuxième en 2015, c’est grâce la rencontre de nos ambitions communes, ainsi que celles d’Aurélien Farrouil – notre chef sommelier depuis 20 ans. Ensemble, nous croyons à l’endurance et au travail dans la durée : faire un peu mieux chaque jour, toute l’année. Nous avons la chance de pouvoir compter sur une équipe formidable, avec Gabrielle, notre nouvelle directrice de salle, Anthony Chenoz en pâtisserie, et Léo qui s'occupe spécifiquement du restaurant gastronomique. Le but, c’est que rien ne change le jour où la troisième étoile arrivera.

YONDER : Le design de vos hôtels marque les esprits. À quel point y apportez-vous de l’importance ?

Alice Tourbier : J'ai envie que nos hôtels soient de grandes maisons de famille ancrées dans le terroir et avec une âme. Je chine beaucoup et j’aime le côté éco-responsable de cette pratique. Quand nous retravaillons la décoration – notamment avec la rénovation récente de 14 de nos suites – on organise des ventes au profit d'organisations caritatives. Chaque année, une part de nos investissements va dans la décoration (dans les moindres détails, allant du choix des petites cuillers aux livres en chambres) pour que les clients viennent trouver du confort, mais aussi du charme. Il nous a fallu cinq ans pour affirmer notre identité auprès de nos hôtes, autour de nos valeurs : bien-être, générosité, authenticité, exception et émotion. Nous voulons éviter la standardisation à tout prix. La faute de goût est impardonnable, tout doit rester vernaculaire. Avec des moyens très limités mais beaucoup d'engagement, on recueille parfois des compliments de maisons comme Mandarin Oriental, qui évidemment est une enseigne qui nous fait rêver.

Nous avons aussi travaillé à préserver le caractère unique du château, d’un seul tenant, entre vignes et forêts. Il est à mi-distance de l’aéroport et de la gare, et à 20 minutes du centre de Bordeaux tout en baignant dans une nature incarnée.

YONDER : Comment est né votre second établissement, les Sources de Cheverny ?

L’Indre-et-Loire est une région magnifique, mais qui manquait cruellement d’hébergements haut de gamme. En septembre 2020, nous avons donc ouvert le tout premier hôtel 5 étoiles du Loir-et-Cher, en investissant l’ancien château-hôtel du Breuil. Ce lieu offre un vrai confort aux voyageurs venus visiter les châteaux de la Loire : Chambord, Chenonceau, Blois, Cheverny… Tous sont facilement accessibles sans changer d’hébergement. Entre patrimoine historique et culture viticole, les Sources de Cheverny prolongent notre engagement pour une hôtellerie enracinée dans les vignobles, toujours dans un esprit de cohérence et d’authenticité.

YONDER : Comment appréhendez-vous la concurrence à Bordeaux, en Bourgogne, en Alsace et dans le Val de Loire ? Que pouvez-vous d’ailleurs nous dévoiler à propos de vos projets à venir ?

La concurrence est essentielle : elle nous pousse à rester les meilleurs. Elle participe aussi à la vitalité des territoires, à l’attractivité touristique, à la création d’emplois. C’est sain, et ça contribue à faire émerger de vraies destinations. Parmi nos projets à venir, nous prévoyons l’ouverture des Sources de Vougeot en mars 2026, dans l’ancienne résidence des Pères Abbés de Cîteaux, en Bourgogne. Nous souhaitons également nous étendre à Rouffach en Alsace, pour 2027. On reste dans cette démarche d’oenotourisme. Pourquoi un horizon à plusieurs années ? Car on fait tout en tandem, nous-même, et la rénovation de bâtiments historiques parfois classés est soumise à beaucoup d’impératifs.

Concernant d’éventuels projets futurs, on a très envie de Provence, pour son vin rosé. On a des regrets sur la Champagne, mais il n’y a pas tant de sites qui correspondent à nos désirs. Il y a aussi un besoin d'hospitalité dans des villes comme Chablis, Châteauneuf-du-Pape ou Sancerre. Peut-être allons-nous créer des offres plus accessibles, avec une offre de restauration et un spa moins complexe. Et puis pourquoi pas nous développer à terme en Toscane, dans les Appalaches ou en Australie, toujours dans l’œnotourisme… ?